Le musée d’histoire de Budapest met ses artistes nationaux à l’honneur. Beaucoup de ces photographes, la plupart très connus comme Brassai ou Kertész, d’autres à découvrir, ont dans les années 1930 choisi la France comme terre d’exil. Ils y ont trouvé accueil et reconnaissance souvent mais cela leur a valu d’être oubliés par leurs compatriotes. L'exposition « Au revoir » veut les faire redécouvrir dans leur pays d’origine.
Exposer les plus fameux photographes hongrois à Budapest comme des étrangers en leur pays peut sembler surprenant. Mais cela prend tout son sens lorsque l’on se remémore l’histoire de la Hongrie après la Première Guerre mondiale : le climat d’antisémitisme - beaucoup de ces artistes étaient juifs - qui a prévalu, la chape de plomb qui tomba sur le pays pendant et après les deux guerres lorsque le régime communiste autoritaire, soutenu par l’URSS prend la relève de l’Allemagne nazie.
On doit cette exposition, 200 photographies de 31 photographes, à deux Hongroises : Julia Cserba et Gabriella Cseh.
L’une est critique d'art, spécialiste des artistes d'origine hongroise.
L’autre est photographe, artiste et enseignante. Toutes deux vivent en France. A l’origine de cet hommage, un livre signé à quatre mains « Photographes d’origine hongroise en France » (Magyar származású fotográfusok Franciaországban) paru récemment aux éditions Corvina Kiadó.
« Aucun livre n’existait pour présenter le travail des photographes hongrois en tant que groupe. Nous considérons comme une dette de faire découvrir ces artistes dont le travail au début du XXème a eu un impact sur la photographie en tant qu’art. Ce n’est pas normal que les gens ne les connaissent pas », expliquent les deux commissaires.
En ces temps troublés de l’Histoire, les frontières bougent, les hommes avec elles. Autre exemple de ces migrants magnifiques à redécouvrir à Budapest, Émeric Feher.
Né Imre Fehér en Voïvodine, il devient citoyen yougoslave en 1919. Pourquoi ? Parce qu’en 1919, le traité de Trianon (lire l'encadré ci-dessous) a rattaché sa ville natale à la Serbie, changeant sa nationalité faisant de lui un Yougoslave. Electricien, champion de lutte gréco-romaine, il exerce divers métiers avant de choisir l’exil en France comme l’un de ses frères parti trois ans avant lui. Embauché chez Peugeot comme ouvrier tourneur, puis chez Citroën, il est licencié lors de la crise en 1930. Grâce à une cousine, il entre au studio Deberny et Peignot Il y découvre la photographie et s'initie au tirage photographique. En 1931, il photographie l’Exposition coloniale. Mode, publicité, industrie, tourisme, aucun thème ou presque ne lui échappe. Comme le dit son biographe Pierre Borhan: « Feher sait capter la pureté d'une ligne, la grâce d'une forme et, avec chaleur, avec même une certaine innocence, la saveur de la vie. »
Les années 1920, années folles, après la guerre de 14-18, le monde occidental veut s'amuser, retrouver un élan vital.
Montmartre, Montparnasse attirent les artistes du monde entier, photographes compris. Paris devient le carrefour de la nouvelle photographie en Europe : modèle de modernité, espoir économique et pour de nombreux étrangers contraints à l’exil, lieu de refuge et de liberté. Plus encore pour les Hongrois empreints de francophilie. Paris capitale culturelle brille à leurs yeux de mille feux. Qu’ils s’y réfugient ou la choisissent comme phare artistique, les photographes hongrois affluent à Paris, apportant leur indéniable talent pour cet art encore neuf. Comme le dit Josef Nadj, chorégraphe et photographe contemporain exposé actuellement à Budapest, « les Hongrois sont naturellement doués pour la photographie ».
Ainsi naît le "style hongrois". La photographie devient alors un art national. Aujourd'hui, les photographes du début du XXème, qui ont su imposer leur jeune et ébouriffante créativité, ainsi que leurs successeurs sont enfin revenus à la maison.
"Au revoir, photographes d’origine hongroise en France."
Exposition présentée au Musée d’histoire de Budapest du 4 oct. 2019 au 5 janv. 2020.