Exposition : la franc-maçonnerie dévoile ses secrets, ou presque !

La franc-maçonnerie fait la Une de dizaines de journaux chaque année. Alors que tout a déjà été dit, que peut apporter l’exposition qui lui est consacrée à la Bibliothèque nationale de France ? Visite guidée.
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Image maçonnique, XIVe siècle.
©Bibliothèque nationale de France
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marianne franc macon
Buste de la Marianne  de Jacques France (Paul Lecreux) Bronze, 1887.
©Musée de la franc-maçonnerie


Liberté, Egalité, Fraternité. Les francs-maçons exaltent les mêmes valeurs que la République française, celles-là mêmes que garantit sa Constitution. C’est, en partie, ce dont l’exposition consacrée à la franc-maçonnerie rend compte à travers quelque 450 pièces et documents, pour la plupart inédits, présentés jusqu’au 24 juillet à la Bibliothèque nationale de France.
 
Dès 1740, soit près de 50 ans avant la Révolution française et la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, les loges maçonniques rayonnent en France et sont peu ou prou impliquées dans le débat politique. Dans le sillage de la philosophie des Lumières, elles prônent une certaine idée de la tolérance religieuse, de la liberté de conscience et de l’égalité.
 
On apprend, par ailleurs, que certaines figures emblématiques des Lumières ont appartenu à des loges prestigieuses. C’est le cas de celle des Neuf Sœurs, qui a accueilli au XVIIIe siècle Benjamin Franklin et Voltaire, entre autres.

Qu’est-ce que la franc-maçonnerie ?

Selon la franc-maçonnerie française, elle est « un ordre initiatique traditionnel fondé sur la Fraternité. Elle constitue une alliance d’Hommes libres et de bonnes moeurs de toutes races, de toutes nationalités et de toutes croyances. Elle a pour but le perfectionnement moral de l’Humanité ».

Les francs-maçons, appelés Frères et Soeurs, se réunissent au sein de loges. Elles-mêmes constituent des obédiences, appelées Grandes loges. En France, les plus importantes obédiences sont le Grand Orient de France et la Grande loge de France.

L’enseignement de la franc-maçonnerie est ésotérique. Le parcours initiatique d’un franc-maçon est constitué de trois grades : apprenti, compagnon et maître. Il se pratique selon des rites propres à l’ordre maçonnique et tenus secrets. Les francs-maçons sont recrutés par cooptation. 

La symbolique maçonnique est forte. Ainsi, le compas (mesure et discernement), l'équerre (rectitude et justice), le delta rayonnant (lumière et puissance créatrice) et le temple de Salomon (modèle idéal de construction, à la fois ouvert et fermé au monde) sont souvent associés à la franc-maçonnerie.

Pilier de la IIIe République

Au siècle suivant, celui des Révolutions, la pensée des francs-maçons continue d’accompagner le progrès social en France. Avec des personnages aussi illustres que Victor Schoelcher, père de l’abolition de l’esclavage, et Jules Ferry, instigateur de l’école gratuite et obligatoire, en son sein, la franc-maçonnerie diffuse une idéologie républicaine et laïque.
 
Mais l’implication de la franc-maçonnerie dans la politique française ne s’en est pas tenue à la IIIe République. A travers divers témoignages, on découvre que l’institution bénéficie aujourd’hui d’un rôle consultatif. Elle a notamment pu donner son avis sur des textes aussi importants que la loi Veil portant sur la dépénalisation de l’avortement, en 1975.

Persécutions

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Affiche du film antimaçonnique Forces Occultes de Paul Riche, 1943.
©Grande Loge de France
L’exposition s’attarde aussi à faire la lumière sur les persécutions dont ont été victimes les francs-maçons. Dès 1737, l’ordre veut être interdit par le cardinal Fleury. Sans succès. A partir de cet instant, la franc-maçonnerie subira régulièrement des descentes de la police du roi Louis XV lors de ses réunions. Le régime napoléonien gardera également un oeil sur l'ordre.

Sous Vichy, à partir d’août 1940, et pendant l’occupation, les francs-maçons tombent sous le coup "d’interdictions secrètes". Parallèlement, l’idée d’un complot "judéo-maçonnique" surgit. L’"antimaçonnisme" perdure aujourd’hui encore. Il est associé par certains à la conspiration des "Illuminati" (une organisation supposément secrète et élitiste qui contrôlerait le monde selon les théoriciens du complot, NDLR).

Origines encore vagues

Même si la visite s’avère laborieuse – il faut compter trois bonnes heures pour prendre connaissance de chaque document – mais néanmoins enrichissante, le mystère pèse encore sur la naissance de la franc-maçonnerie. Certes, l’exposition fait état de ces confréries de maçons sur les chantiers des cathédrales au Moyen-Âge, qui se sont transformées en sociétés de rencontre ritualisées en Ecosse aux XVIe et XVIIe siècles.
 
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Plat de service dit « aux 25 symboles », vers 1770.
©Musée de la franc-maçonnerie
Mais qu’en est-il des Templiers (qui auraient, d'après le mythe, bâti le Temple de Salomon), dont la légende colle à celle des francs-maçons ? Le visiteur se questionne encore.

David, ce professeur d’histoire passionné, confirme : l’exposition « est adaptée aux néophytes. En revanche, elle n’est pas assez précise sur les origines, même si elles n’ont rien à voir avec la légende des Templiers ».
 
Quoiqu’il en soit, l’exposition est un régal pour toute personne avide de dimensions symbolique et initiatique, dont regorge la franc-maçonnerie. Celle-ci s'achève sur les notes de La Flûte enchantée de Mozart. Cet opéra est qualifié, à tort, de "maçonnique" puisqu'il a été composé en 1772 et que son auteur n'a été initié qu'en 1784.

Trois questions à Pierre Mollier, commissaire de l’exposition, directeur de la bibliothèque du Grand Orient de France et conservateur du Musée de la franc-maçonnerie.


Quel est l’esprit de l’exposition sur la franc-maçonnerie ?

Il s’agit de faire connaître la franc-maçonnerie pour mieux la comprendre. Nous avons essayé d’être le plus documentaire possible : illustrer l’histoire de ce courant de pensée et montrer que la franc-maçonnerie est enracinée en France depuis près de trois siècles. Nous avons aussi voulu présenter une image diverse de la franc-maçonnerie, avec ses courants et sous-courants. Les gens peuvent ensuite s’en faire leur propre idée.

L’exposition est grand public et généraliste. Mais il faut aussi que les spécialistes voient des choses qu’ils ne verront pas ailleurs. Pour cela, nous avons rassemblé des documents rares et inédits. Certains n’ont d’ailleurs jamais été montrés au public.

Après la visite de l’exposition, une partie la franc-maçonnerie demeure mystérieuse et secrète. Pourquoi ?

Les gens pensent que la franc-maçonnerie est secrète, mais seulement l’initiation maçonnique l’est. Une citation de Casanova illustre très bien cette discrétion : « Le secret de la franc-maçonnerie, c’est le cheminement intime par la fréquentation des symboles, des rituels. » Tout le reste est très ouvert. Aujourd’hui, chacun a le droit de dire qu’il est Maçon s’il le souhaite.

La curiosité des gens vis-à-vis de la franc-maçonnerie est donc légitime. Mais le mouvement ne doit pas être considéré comme élitiste ou marginal puisqu’il y a 180 000 francs-maçons en France.

Pourquoi la légende Templiers est-elle associée à la franc-maçonnerie ?

Au milieu du XVIIIe siècle, la franc-maçonnerie se développe et certains Frères pensent qu’elle est un voile derrière la survivance de l’ordre du Temple. Ils y croient vraiment. Mais lorsque l’on fait des recherches, cette légende s’avère a priori fausse.

Ce qui est certain, c’est que quand la franc-maçonnerie s’est muée en société de rencontre et d’échange, entre 1725 et 1750, elle a enrichi son symbolisme et certains Frères se sont intéressés à la chevalerie. Le lien entre la chevalerie et la maçonnerie est donc réel, mais les Templiers ont bel et bien disparu au XIVe siècle.