« Petit pan. Quatre murs. Dans la rue. Passer ». En 4 thèmes, l’ambition de cette exposition : cerner les murs qui nous cernent. Abri. Prison. Dazibao ou étendard. Poids et volume. Le mur est tout cela et les artistes ne s‘y sont pas trompés, de l’homo sapiens peignant dans ses grottes les troupeaux qu’il chassait jusqu’à Daniel Pommereulle, érigeant son mur de couteaux, beau et cruel hérissement de lames acérées sur fond de marbre vert. 80 œuvres pour découvrir l’art pariétal, considéré ici moins comme support que comme sujet même de la représentation artistique.
Etrange comme le mur, jusque dans ses contradictoires représentations, reste dans cette première salle présentant des œuvres du XVIIIe et XIXe siècles une figure réconfortante. Les murs de Pierre-Henri de Valenciennes, moussus et protecteurs, étroitement mariés à la végétation. Ceux de Maurice Denis, laissant percevoir une ville rose aux toits gothiques idéalement surplombés d’azur. Ou encore le contraste des toiles de Léon Spillaert, murs sombres baignés des chaudes couleurs du crépuscule.
Emblématique du parcours, la très politique salle "Quatre murs" est consacrée aux artistes du XXe, siècle à partir duquel le mur nous avilit. Qui souhaite investir les maisons de Jean-Luc Moulène ou celle de Claude Levêque. Lui n’y va pas de main morte avec sa sérigraphie de maisons Phénix intitulée « Prêts à crever ? » « Il y a peu du rêve au cauchemar, commente Marie-Claire Sellier, co-commissaire de l’exposition. Le vert du gazon est trop brillant. Azoté peut-être ? Aucune ombre pour trouver refuge. Trop de réel effraie ».
C’est bien vrai. Qui en veut, des pavillons de Levêque ? Personne, sauf peut-être leurs habitants qui ignoraient jusqu’alors qu’ils étaient prisonniers de la laideur de leurs quatre murs. Claquemurés dans des lotissements partout identiques, ou presque, personnages de maisons témoins vivant sous la lumière agressive de la modernité. La maison n’est plus l’abri transmis entre générations, elle n’est plus que le fantasme d’accession à la propriété dans des villes nouvelles où la singularité se perd, où la série est la norme. Le neuf s’y dégrade vite, emportant dans sa chute l’humain qui vit dans la boîte.
Créations emblématiques de l’exposition, les maisons d’artistes. Celle de l’allemand Kurt Schwitters, inspiré par les dadas et les constructivistes. Sa maison à Hanovre comme celle du facteur Cheval devient une œuvre totale, autant physique que mentale. Trois étages saturés de colonnades, de niches, et d’alcôves où cacher ou se cacher.
Le Français Jean-Pierre Raynaud né en région parisienne travailla, lui, à la sienne de 1969 à 1988. L’artiste l’envisagea d’abord comme sa résidence principale. Incapable selon ses dires de s’adapter à « un lieu normal », désireux de créer un cadre différent, le créateur travaille à son élaboration mais finit par s’enfermer chez lui. Barbelés, terrain électrifié, murs recouverts de céramique blanche, la maison l’aspire. En 1988, fin des travaux. La maison est terminée, le processus créatif interrompu. Insupportable.
Raynaud abandonne les lieux avant de les détruire. Ce sont ces fragments que le musée présente comme autant de signes de l’atomisation possible des murs qui enferment. Ou de l’éclatement de la personnalité ?
Seul le Suisse Pascal Hausermann donne à rêver avec sa maison bulle, poing entrouvert, coquille légère largement ouverte sur l’extérieur par une longue baie vitrée. Peut-être parce que le créateur fait œuvre d’architecte, de bâtisseur. Non plus de créateur dévoré par sa créature ou de critique conchiant les chimères de son époque. Las, le rêve d’auto-construction de Hausermann (projection de béton sur une armature métallique, voulue à la portée de tous) ne résista pas aux terribles années 1970 vendues aux promoteurs immobiliers.
Rien d’étonnant à ce qu’aux lieux d’enfermement mental, succèdent les lieux d’enfermement tout court. Séries de photographies de la prison de Clairvaux de Jacqueline Salmon. Suite de gravures à l’encre noire de l’américain Robert Morris, inspirée des Carceri Invenzione de l’italien Piranèse qui réinventa au XVIIIe la prison sous la forme de lieux fantasmagoriques. « Terrains clos pour parades et punitions », « Tours de silence », « Bassins chauds et froids de persuasion », le travail de Morris balaie le spectre de l’enfermement, de la manipulation mentale à la torture.
La salle « Dans la rue » arrive comme une bouffée d’air frais dans un monde malade. Les messages de Dubuffet, qui se décrit comme un homme du commun : « Reviens », « Ça t’apprendra à fermer ta gueule » insufflent une revigorante paillardise. Son art brut inspiré des productions de marginaux ou de malades mentaux s’oppose frontalement à « l’Asphyxiante culture » telle que décrite dans cet essai éponyme paru en 1968. Même sensation de liberté chez le photographe Brassai qui à partir de 1933 se penche sur les graffitis parisiens, cette poésie murale, pour n’en sortir que 20 ans plus tard.
On n’en est pas moins fou, on n’en est pas moins homme. Le Mur, film de jacques Lizène balaie une façade pour s’arrêter sur une phrase écrite à la craie « Je ne procréerai pas ». Commentant sur son œuvre, l’artiste ajoutera : « D’une manière générale, les choses étant ce qu’elles sont, Jacques Lizène ne procréera pas. Hopla, il subira volontairement la vasectomie… Dès ce moment, il portera en lui une sculpture interne ».
Quant au mot de la FIN, nous le laisserons au Caenais Samuel Buckman. Son « Mort aux mondes » qui referme comme un message funeste cette exposition sur l’art mural, ce « Mort aux mondes » définitif photographié sur les murs de l’austère palais de justice de Bruxelles est devenu pour lui un étendard, « un pire que l’utopie ». Comme le dit fort justement Marie-Claire Sellier, co-commissaire de l’exposition, les murs portent des colères éternelles.
Exposition au Musée des Beaux-Arts de Caen du 5 mai au 18 septembre 2018.