Fil d'Ariane
"L’épopée de Lyanja" est un mythe fondateur des peuples mongo, du nord-est du Congo. Mobutu s'en inspire pour asseoir la gloire de tous les peuples du Zaïre, et se poser en père de la Nation, comme Lyanja, le héros national dans le conte. Dans ces épopées épiques, on y voit Lyanja, sa soeur Nsongo, d'autres guerriers héroïques, affronter des sorciers de guerre. Faustin Linyekula mêle danse, vidéos de l'époque et théâtre.
TV5MONDE : « Histoire(s) du théâtre II » est inspirée de vos souvenirs d’enfance, lesquels ?
Faustin Linyekula : La première fois qu’on a vu ce ballet, c’était à la télévision, en noir et blanc, dans les années 80, sur Télé Zaïre. On était à la fois fascinés et effrayés par les masques, et les costumes. On ne pouvait pas s’empêcher de regarder ces danses de la région de l’Equateur, du Bandundu, du Bas-Congo… Les chants sont du Kasaï, du Katanga. Les Banyarwandas – les Tutsis du Kivu – étaient également présents avec leur danse : l’intore.
Cette pièce s’inscrit dans un contexte post-colonialiste. Ce thème inspire-t-il vos créations de manière générale ?
Faustin Linyekula : Je dis de ma danse qu’elle est une tentative de me souvenir de mon nom. Par exemple, mon nom de famille, c’est une invention coloniale ! Avant les années 30, le nom de famille n’existait pas au Congo. Chacun avait son nom qui était notamment lié aux circonstances de sa naissance.
Il a fallu que les Belges instaurent cette institution pour que mon grand-père prenne le nom de Linyekula. Et je me dis : Si Mobutu avait été conséquent en 1971, quand il a décidé de changer le nom du pays au nom de « la politique au recours d’authenticité », il n’aurait pas seulement banni les prénoms chrétiens et la cravate, il aurait peut-être dû aussi bannir cette institution coloniale qui est le nom de famille.
Je m’intéresse à ce genre d’histoires, aux interactions entre l’histoire personnelle et l’Histoire collective, entre l’intime et la politique. C’est à cet endroit-là que je peux situer mon travail, qui reste une recherche poétique.
Etre citoyen en RDC aujourd’hui, c’est se rappeler tous les jours que rien n’est acquis, encore plus qu’en Europe. Tout est à construire. Et on doit tous participer chacun à son échelle.
A votre niveau, que faites-vous pour reconstruire une autre Histoire du Congo ?
Faustin Linyekula : Je souhaite créer un espace, par mon travail, où l’on peut se dire : « C’est possible d’être au Congo et de rêver à partir d’ici ». Rêver en étant très conscients des ruines autour de nous, mais aussi en nous. Nous sommes un peuple cassé, traumatisé.
Le défi, c’est de construire un projet, où quelques personnes se disent : « Malgré les ruines, c’est possible d’être au Congo, et d’imaginer un futur dont serons nous-mêmes les bâtisseurs ». Pas un futur qui va arriver avec les Nations unies, ou l’aide française au développement.
C’est possible d’être au Congo et de rêver à partir d’ici.Faustin Linyekula, metteur en scène
L’art est essentiel, encore plus dans des espaces aussi cassés que la RDC. Nous avons besoin de créer et de nourrir des espaces où nous pouvons nous projeter. Seuls l’art et la poésie permettent cet espace imaginaire.
Votre centre de danse, les studios Kasako, est établi à Kisangani, dans la province de Tshopo, dans le Nord-est de la RDC. En quelles langues travaillez-vous ? Et quelle place occupe la langue française pour vous ?
Faustin Linyekula : Le français n’est pas la première langue que je parle dans la vie. Ce n’est pas non plus la langue que je parle avec ma mère. Quand mon père était en vie, bien qu’il parlât parfaitement français, on communiquait en swahili. Quiconque va à l’école au Congo apprend à tout basculer en français. Aujourd’hui, je rêve en français, j’écris mes idées en français.
Aux studios Kabako, le travail navigue entre le swahili, et le lingala. Et parfois, quand on est incapables de s’exprimer dans l’une de ces deux langues, on se tourne vers le français.
Pourquoi avoir ouvert vos studios à Kisangani ?
Faustin Linyekula : J’aime dire que je raconte des histoires. Les histoires qui me mettent en mouvement, ne viennent pas de mon expérience de l’exil. En 2001, j’ai choisi de rentrer au Congo, à Kinshasa (après avoir vécu au Kenya ndlr), et de raconter mes histoires à partir du Congo.
Après cinq ans, je suis parti de Kinshasa. On peut être à Kisangani et être au centre de son monde. L’Europe n’est pas le centre du monde. Avec la danse contemporaine, j’ai appris que le centre de l’espace n’est pas un point fixe. Pour toutes ces raisons, j’avais envie d’être au Congo, pour naviguer.
On peut être à Kisangani et être au centre de son monde. L’Europe n’est pas le centre du monde.
Faustin Linyekula, metteur en scène
Je rêve en français. Je suis aussi Européen. Le projet colonial, c’était justement de faire de nous des Occidentaux. C’est donc important aussi pour moi de revenir de temps en temps en Europe, pour regarder cette Europe en face et dire : vous avez façonné ma vie, voilà où j’en suis.
Faustin Linyekula a présenté lors de la 73e édition du Festival d’Avignon « Histoires du théâtre II », une coproduction des studios Kabako (sa structure à Kisangani) et du théâtre municipal de Gand en Belgique, le NT Gent.
Sur scène, cinq personnes : Papy Maurice Mbwiti, acteur congolais qui vit actuellement au Canada, l’acteur belge Oscar Van Rompay, et trois interprètes du Ballet national du Zaïre qui ont joué « L’épopée de Lyanja » en 1974 : Wawina Lifeteke, Marie-Jeanne Ndjoku Masula et Ikondongo Mukoko.