Festival d'Avignon : Anne-Cécile Vandalem, une combattante qui a pour arme, le spectacle vivant

La Belge Anne-Cécile Vandalem est devenue en quelques années une figure majeure du théâtre européen. Avec un style unique, mixant théâtre, musique et video, elle compose des fictions sombres illustrant la déchéance du politique.
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"ARCTIQUE", une pièce écrite et mise en scène par Anne Cecile Vandalem. 
© Christophe Raynaud de Lage / Festival d'Avignon
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Anne-Cécile Vandalem n'a pas 40 ans et connaît déjà un succès dont elle ne se contente pas : "Et ben non, je ne suis arrivée nulle part, sinon j’arrête. Aujourd'hui, je suis seulement dans une position un peu plus confortable pour obtenir les moyens de faire ce que je veux. Donc je continue."

Douce et souriante, on la sent aussi d'une détermination sans faille pour mener ses projets. Et cela depuis toujours semble-t-il. Elle est née à Liège (Belgique) en 1979 et, très jeune, manifeste une curieuse appétence pour le théâtre, la danse, le cinéma.

Au quotidien belge Le Soir, elle a raconté que, quand on l'emmenait à la messe, elle se voyait bien à la place du curé ordonnateur de la cérémonie.  "C'était plutôt l'organisation des choses qui m'intéressait. Finalement, écrire une histoire, créer une danse, c'est organiser. Je ne sais pas pourquoi, mais j'ai toujours été attirée par cela. Il y a des choses naturelles qui ne s'expliquent pas, je ne peux pas répondre. Je préfère savoir comment. Comment ça continue et ce que j'en fait...  Je voulais être danseuse et je me suis rendue compte à 15 ou 16 ans que je ne le serais pas. Et puis j'adorais le cinéma qui a été un refuge. J'allais au cinéma tous les jours, tout le temps."
 

Anne-Cécile Vandalem
Anne-Cécile Vandalem est devenue en quelques années une figure majeure du théâtre européen. 
©LaetitiaBica

Comédienne organisatrice

Finalement, et presque paradoxalement, c'est le Conservatoire de Liège qui l'accueille à 18 ans. Anne-Cécile Vandalem sera donc comédienne, mais la passion organisatrice reprend vite le dessus. Dès 2003, elle crée sa première pièce, "Zaï Zaï Zaï Zaï" avec le comédien Jean-Benoît Ugeux qui joue encore dans ses créations.

Près d'une dizaine suivront avec son groupe "Das Fräulein (Kompanie)" nommé ainsi pour railler le paternalisme et le sexisme du monde théâtral. "Je ne dirais pas que j'ai du me battre du fait que j'étais une femme mais j'ai dû faire preuve de beaucoup d'humour et de distance par rapport à des positions qui, à l'époque, était majoritairement masculine. Je parle des directions de théâtre, des postes de pouvoir. Il m'a fallu des stratégies d'évitement pour ne pas prendre les choses de front. Je pensais que ça allait changer mais les choses ne changent manifestement pas. C'est très décevant et préoccupant. Moi je suis quelqu'un qui pense que la parité ça s'impose et ça ne se discute pas."

Des textes politiques sombres

En attendant une évolution des mentalités, Anne-Cécile Vandalem fait son chemin, sans dévier, même s'il faut crapahuter au Groënland comme elle l'a fait en préparant "Arctique", la pièce présentée à Avignon cette année. Depuis "Tristesse" en 2016 illustrant la montée des populismes d'extrême-droite, ses textes ont pris un tour politique très sombre. Elle analyse la trahison des responsables, la lâcheté des citoyens et la fin de l'espoir.

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"ARCTIQUE", texte et mise en scène Anne-Cécile Vandalem.

©​Christophe Raynaud de Lage / Festival d'Avignon


Pour "Arctique", il est question de réchauffement climatique, d'un territoire livré aux appétits financiers, de corruption... Et de vengeance aussi, car il s'agit d'un véritable thriller - l'action se passe sur un bateau à la dérive dans les eaux nordiques, tanguant entre "Shining" et David Lynch avec des scènes franchement burlesques en bonus.
 

La puissance de la fiction c'est de transcender le réel et aujourd'hui, on a une grande nécessité de pouvoir trouver des clés pour décoller du réel.

Anne-Cécile Vandalem, auteure et metteure en scène.

La dramaturge n'a pas renoncé aux plaisirs de la fiction et des histoires captivantes. "C'est dans le réel que je vais puiser mes sujets mais la puissance de la fiction c'est de le transcender et aujourd'hui , on a une grande nécessité de pouvoir trouver des clés pour décoller du réel. C'est d’être collé comme ça qui nous empêche de trouver une voie de côté, d'autres possibles que celui qu'on nous impose. Je cite Mona Chollet qui parle de "tyrannie de la réalité" et c'est vrai, il y une tyrannie de la réalité. Aujourd'hui , on doit trouver des clés. S'il y a une dimension politique de la fiction, c'est bien celle-là. La fiction, elle est utilisée à très mauvais escient dans les fake news ou dans la manière dont le politique s'en saisit pour re-raconter des situations, ils savent très bien le faire. Pour moi, il y a nécessité de résister à ça en créant mes propres versions."

Installée aujourd'hui à Bruxelles, Anne-Cécile Vandalem ne fait pas dans l'optimisme béat. Sans prévenir, elle vous assène "je suis née avec l'Europe et je vais la voir s'éteindre. En tout cas, j'ai beaucoup de doute sur son avenir". Ses spectateurs qui ont pu apprécier l'acuité de ses pièces la prendront au sérieux. Mais c'est aussi une combattante qui a trouvé son arme : le spectacle vivant. Elle avoue ne pas pouvoir manifester ou militer dans un parti, mais dans son domaine, l'auteure n'est pas prête à baisser pavillon.

"Tristesse" continue à tourner en Europe. "Arctique" est en tournée en France et en Belgique en 2018-2019.