Fil d'Ariane
Dans la trilogie "Pourama, Pourama", son premier spectacle, Gurshad Shaheman, seul en scène, raconte ses souvenirs de l'Iran dans les années 1980 et comment son père, ingénieur des ponts et chaussées l'emmenait dans ses tournées au front pendant le conflit Iran/Irak. Première expérience de la guerre : 4 ans. La suite de cette épopée autobiographique se passe en 1990 quand il suit sa mère, divorcée, en France. Première expérience de l'exil : 12 ans.
La question de l'identité sexuelle, c'est aussi une quête de soi.
Gurshad Shaheman
Les années ont passé et le jeune garçon est devenu un auteur, comédien et metteur en scène en vue. Pour sa deuxième mise en scène, il a décidé d'aller voir des déracinés,
d'entendre des paroles d'exilés du Moyen-Orient recueillies à Calais, Athènes, Beyrouth. "Je n'écris pas de fiction et après avoir pris ma propre vie comme matériel de travail pour mon écriture, j'avais envie d'ouvrir l'horizon. J'ai eu l'idée de rencontrer des gens dont je me sentais proche, des gens qui ont traversé des guerres, qui connaissent l'exil, qui ont eu aussi un questionnement identitaire très fort parce que la question de l'identité sexuelle, c'est aussi une quête de soi."
Gurshad Shaheman a aussi chroniqué son homosexualité et la question LGBT revient avec force dans cette nouvelle pièce, "Il pourra toujours dire que c'est pour l'amour du prophète" créée cette année au Festival d'Avignon, même s'il souligne qu'il a recueilli les témoignages les plus divers. Une trentaine au total, qu'il a sélectionnés, réécrits, ré-agencés et qu'il donne à dire à quatorze jeunes gens – des élèves comédiens de l'école d'acteurs de Cannes. Scènes de vie, scènes vécues, la guerre, la peur, mais aussi les histoires d'amour.
Ce sont des gens qui (...) se sentent différents dès l'enfance.
Gurshad Shaheman
"Au départ, on fait les choses à l'instinct, explique Gurshad Shaheman et c'est en les rencontrant, en rassemblant les témoignages qu'on voit en quoi les témoignages des artistes, des transsexuels et des gays, sont différents en profondeur par rapport à d'autres gens qui, quatre ans après une catastrophe, sont encore dans l'hébétude. Ce sont des gens qui, très vite, doivent remettre en perspective ce qui leur arrive, ils se sentent différents et dès l'enfance, ils ont cette réflexion sur eux-mêmes et le monde et ont déjà une parole construite. Dès l'enfance, il y a cette tentative de ne pas être victime des aléas du destin, de se reconstruire sans cesse. Moi, j'ai traversé un peu tout ça."
De fait, les exilés LGBT du Moyen-Orient sont condamnés à une sorte de double peine : à la guerre, la pauvreté, l’exil s'ajoutent pour eux la condamnation de leur société attachée aux valeurs traditionnelles. Dans "Il pourra toujours dire que c'est pour l'amour du prophète", il est quelques récits glaçants.
Avec cette forme théâtrale, Gurshad Shaheman semble avoir rassemblé tous les outils qu'il possède et le meuvent. Avant de présenter "Touch Me", première partie de "Pourama Pourama" en 2012, il a été comédien pendant une dizaine d'année, formé au Conservatoire de Toulon, puis à l'ERAC, l'école d'acteurs de Cannes.
Mais il est un autre Gurshad, plus universitaire, qui a obtenu un master de littérature avec un mémoire sur la traduction de la poésie contemporaine iranienne. Depuis 2004, il est le traducteur de Reza Baraheni et a traduit deux de ses romans pour Fayard.
C'est en faisant les projets que je trace un chemin qui devient évident pour moi. Maintenant je sais que ce que j'aime faire : c'est écrire, écrire à partir de la réalité et pour le théâtre.
Gurshad Shaheman
" A chaque fois que j'écris quelque chose, c'est parce qu'il y a une échéance scénique derrière et les deux-trois projets que j'ai en tête seront basés sur le même schéma : interviewer des personnes et imaginer des dispositifs pour donner ces paroles-là à entendre."
Admirateur de la performeuse Marina Abramovic, la grande dame de l'art corporel, il affirme ne pas chercher à créer des images mais à mettre les corps et les voix dans "un état de présence qui soit juste, délicat et intense".
Le travail de Gurshad Shaheman qu'il veut bien reconnaître comme "documentaire" est un travail sur l'intime qui a pourtant une profonde résonance politique. Un travail hybride, comme quand il pose en photo avec sa barbe fournie et des boucles d'oreille très féminines.
A savoir
"Pourama Pourama" est publié aux éditions "les solitaires intempestifs"
"Il pourra toujours dire que c'est pour l'amour du prophète" est en tournée en France et en Belgique en 2018-2019