Festival d'Avignon : le metteur en scène Didier Ruiz donne la parole aux trans

Dans son travail, le metteur en scène Didier Ruiz se met à l'écoute de la parole des autres et les aide à transmettre leurs expériences. Son dernier projet "Trans (més enllà)" conçu à Barcelone et présenté au Festival d'Avignon, aborde l'expérience de la transsexualité.
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Le spectacle "Trans (Més Enllà)" mis en scene par Didier Ruiz. 
©© Christophe Raynaud de Lage / Festival d'Avignon
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C'est un homme qui a fait parler les vieux de Béziers et d'ailleurs, amené sur la scène d'anciens prisonniers pour dire leur chemin de vie et recueilli les interrogations pieuses de catholiques sur leur sexualité au début du XXème siècle.

Cette année, au Festival d’Avignon, Didier Ruiz donnait la parole à des personnes transgenres, six d'entre eux qu'il a rencontrés à Barcelone. Ce ne sont pas des comédiens mais ils racontent leurs premiers doutes, leur transition, leurs peines et leurs joies. Du théâtre-documentaire comme on dit aujourd'hui, mais c’est une appellation qu'il n'aime guère. « Moi je préfère parler de "théâtre de l'humanité", "de l'intime", ça me plait beaucoup plus car il y a une notion d'émotion... La fiction, c'est formidable, mais elle a ses limites. Pour écouter des gens depuis vingt ans, je ne compte plus le nombre de fois où je me suis dit que la réalité allait "més enllà" (c’est-à-dire "au-delà" en catalan) de la fiction. C'est tellement extraordinaire ce que les gens racontent. Quels auteurs rendent compte de cette incroyable richesse de la vie des gens ? Il y en a, j'en suis certain, mais je les trouve pas au moment où je les cherche. »
 

Une famille loin du théâtre

Didier Ruiz est né en 1961 à Béziers (sud de la France) dans une famille d'origine espagnole. Chez les Ruiz, on ne ne fréquente pas les théâtres et c’est clandestinement qu’il s’inscrit, à 15 ans, au Conservatoire de la ville.
Il veut devenir comédien. « J'allais aux cours en cachette et un jour, mes parents l'ont appris. J'avais passé le concours de fin d'année et ils ont lu mon nom dans le journal...»
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Didiez Ruiz, metteur en scène de "Trans (més enllà)" qui s'est joué au Festival d'Avignon. 
©Paul Martinez

Mais pourquoi la comédie ? La scène ? « J’aimais comment le mensonge est porté haut avec des costumes, des décors. Ça me renvoyait à mes jeux d'enfance ... J'avais un rapport affectif avec ce théâtre de Béziers. Il y avait l'odeur. Une odeur de… théâtre. Des machinos comme dans les films, avec un gros ventre et une salopette, les loges avec les noms écrits sur les portes… C'était pour moi Le Théâtre.

Plus tard, il y a eu l’arrivée en 1976 de Jacques Echantillon, venu créer le centre dramatique national, repris ensuite par Jérôme Savary et là, je voyais tous les spectacles. J'en ai pris plein les yeux. Là, je me suis dit : "c'est ça que je veux faire"
».  


Inscription au cours Florent

Mais dans la famille, on ne plaisante pas avec les études et le jeune Didier se retrouve volens nolens à apprendre un vrai métier : infirmier. Est-ce trop dire que le service militaire sauve ce pupille de la décentralisation théâtrale en l’envoyant à Paris ? Loin de l’Occitanie natale, il saute le pas et s’inscrit au cours Florent.

Une carrière commence. Didier Ruiz sera comédien, pendant 10 ans, jusqu’à la crise : « En 1999, je jouais à « Théâtre Ouvert » et s’est déclenché une terrible envie de faire sauter l'espace, de foutre le feu à tout ça, de tuer les auteurs et les acteurs, le père et la mère… » Il sourit.

Le théâtre d’accord mais sous des formes nouvelles, avec des textes nouveaux.  
 

Je n'en pouvais plus des théâtres et j'ai dit : on va aller là où il y a des gens, et c'est dans les bars.

Didier Ruiz, metteur en scène

« On jouait un spectacle contre un verre et ça marchait, les gens écoutaient. Ca s’appelait "L'amour en toutes lettres, questions sur la sexualité à l'abbé Viollet". J’avais réuni trente comédiens autour de trente lettres écrites par des catholiques pratiquants qui parlaient de leurs problèmes sexuels à cette autorité morale. J'étais déjà dans l'intime et je n’en suis pas sorti d'ailleurs. »

Depuis sa « Compagnie des Hommes » a multiplié les projets originaux, s’emparant des textes les plus divers et toujours atypiques. Quand il monte Racine, c’est « Une Bérénice » où la comédienne seule en scène interprète tous les rôles.

Sur scène des non-comédiens

Didier Ruiz n’aime pas les pièces clés en main, l’écriture dramatique, les auteurs. Du moins pour son usage personnel. « Je n'étais jamais satisfait. Je suis passé par la commande mais il y avait toujours quelque chose que je voulais changer. Dans ces conditions, soit j'écris moi-même les textes, mais j'en suis incapable, soit je fais autrement. En plus, pourquoi j'irais monter Jean-Luc Lagarce que j'adore alors qu'il y a des gens qui font ça très bien. Je ne veux pas rajouter des ixièmes versions.»

A Avignon, dans "Trans, més ellà" le metteur en scène s'est presque effacé pour offrir à ses invités toute l'attention du public. Parcourant la ville à vélo, il observait les petites scènes et les joies simples, la rue, les gens. Didier Ruiz, c'est l'homme que passionne la vie des autres.