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Gastronomie : Paul Bocuse, une vie frémissante

Paul Bocuse, le "cuisinier du siècle", repose depuis un an. Robert Belleret le fait revivre avec une biographie. Le journaliste a mijoté le récit d'une vie particulièrement épicée. Un ouvrage sur le "pape de la gastronomie" à déguster sur canapé.
A Lyon, pour la première fois cette année, Paul Bocuse était le grand absent.
Mais le "pape de la gastronomie", décédé voici un an, était présent à l'esprit des 24 chefs finalistes en compétition. Pour ces "Bocuses d'or", l'un des plus prestigieux concours mondial de gastronomie,  les équipes devaient réaliser deux plats : une chartreuse de coquillages et un carré de veau rôti.

Le Danemark, emmené par son chef Kenneth Toft-Hansen a décroché le trophée.  C'est Jérôme Bocuse, président du Bocuse d’Or, et fils du maître, qui le lui a remis. Le lauréat n'a plus de souci à se faire pour son avenir.
Un an après sa disparition, une biographie (Paul Bocuse, l’épopée d’un chef, l'Archipel édition) nous apprend le parcours hors du commun du premier chef cuisinier-star de la seconde moitié du vingtième siècle.
Un ouvrage sans sauce inutile, ni chantilly superflue.
Son auteur, Robert Belleret, infuse au fil des pages un enthousiasme qui va crescendo, le tout servi dans un style fluide, aérien, où se côtoient jeux de mots, pirouettes littéraires et où l'émotion, toujours, est en embuscade.
Le tout est savoureux.
Sans doute parce que les deux hommes, lui journaliste au Progrès à Lyon, l'autre grimpant une à une les marches de la gloire, se sont rencontrés plusieurs fois dans l'escalier.
Bocuse
Paul Bocuse le 24 mars 2011 devant son auberge L'Auberge du Pont de Collonges in Collonges-au-Mont-d'or
(AP Photo/Laurent Cipriani, File)
 

"Ton Paulo, on en fera rien !"

Paul Bocuse était né le 11 février 1926 à Collonges-au-Mont-d'Or, près de Lyon, dans une auberge, cette même auberge où il fermera les yeux quatre-vingt-onze années plus tard. Il va apprendre l'essentiel  de son art chez Fernand Point, son père spirituel, et chez la Mère Brazier - deux légendes de la gastronomie. "C'était un gamin fou de nature qui passait ses journées à braconner, à pêcher, à faire de la barque sur la Saône. Au point de ne pas avoir son certificat d'études. Il entendait des oncles, des tantes qui disaient à ses parents : "Votre Paulo, on n'en fera rien".  Il y a chez lui un désir de revanche.", raconte Robert Belleret. Et son apprentissage ?  "Il va intégrer la corporation des cuisiniers, un monde très dur. On commence parfois à 12 ans et on travaille 10 à 12 heures par jour, sous la férule d'un maître d'apprentissage parfois terrible."
La gloire venue, avec l'argent qui l'accompagne, Paul Bocuse ne s'achètera ni Rolls, ni Jaguar, mais un étang de 75 hectares avec un hangar agricole. Son luxe. Son bonheur. Son paradis. En souvenir du petit sauvageon qu'il fut.
Bocuse
Paul Bocuse le 24 mars 2011 avec deux de ses employés à l'Auberge du Pont de Collonges.
(AP Photo/Laurent Cipriani)
 

"Il n'y a qu'une seule cuisine : la bonne !"

Mais comment peut-on expliquer le fantastique succès de sa cuisine ? "Bocuse, c'est tout sauf "la nouvelle cuisine" !", poursuit l'auteur.  C'est la qualité des produits, (si possible de proximité),  la juste cuisson et l'assaisonnement. Ce qui passait avant tout, c'était le goût. La
Paul Bocuse

 Paul Bocuse le 29 janvier 2013 à Lyon, pendant les "Bocuse d'Or."

(AP Photo/Laurent Cipriani)
crème, le beurre, la volaille, les bons poissons. Prendre toujours ce qui a de plus frais ! Il plait à l'international , et notamment au Japon, parce qu'il est authentique, très ancré dans le terroir, très français. Dans la rue, on le reconnaît. C'est un Dieu vivant. Il donnait l'impression d'une grande gueule et pourtant, il ne l'était pas. Il était même plutôt réservé, mais il savait être en représentation. C'était un amoureux de la vie, des produits, de la chasse, de la nature. Et des femmes aussi. Il y a eu trois femmes importantes dans sa vie, non pas successivement mais simultanément. Il avait une vie privée compliquée et un côté macho évident. Il faisait aussi des fiestas invraisemblables. Quand il fête son anniversaire, il part avec trente copains en Californie, à Marrakech, et ils font bombance pendant trois jours !"

Dans son ouvrage, Robert Belleret détaille l'aventure d'un homme simple, farceur, qui sait jouer en maître avec les médias, "passant" deux fois chez Bernard Pivot dans son émission littéraire, un visionnaire échafaudant des stratégies marketing efficaces. Surtout, Paul Bocuse est doté d'un flair infaillible pour repérer des gamins prometteurs et qu'il prend sous son aile. Son instinct est son GPS.
Il ne le trahit jamais.

McCartney, Churchill, Johnny Hallyday...

Auprès de ses confrères, Bocuse devient le "parrain", conseillant celui-ci, mettant en garde celui-là.  Ses révolvers ne sont pas dans sa poche, mais dans sa tête. Dans ce milieu ultra sensible -la haute cuisine, qui tutoie les étoiles et fait tout pour les apprivoiser- il y a un code d'honneur non écrit et qui vaut force de loi. Le trahir, c'est se perdre. Le "pape de la gastronomie" est un homme écouté et donc respecté. Il le sera jusqu'à sa dernière minute de vie.
Les afffaires sont florissantes. L'auteur écrit :"Bocuse n'a pas inventé la dynamite, mais il a dynamisé la cuisine sans avoir en poche de doctorat en marketing".
Loiseau
Le Chef Bernard Loiseau, fils spirituel de Paul Bocuse, le 4 mars 1991 à Saulieu.
(AP Photo/Jacques Brinon, File)

Résultat : les stars affluent du monde entier. Le livre d'or de l'Auberge de Collonges ressemble aux pages du Who's Who, cette bible des mondains. On y croise Paul McCartney, Winston Churchill, François Mitterrand, Miles Davis, Johnny Hallyday, Luciano Pavarotti et tant d'autres ! Autant d'agents publicitaires malgré eux qui vont chanter les louanges de ce temple de la gastronomie.
Le maître des lieux est solidaire de celles et ceux qui font le même métier que lui. Avec des pressions parfois insuportables sur leurs épaules. Il prend ainsi fait et cause pour son illustre confrère Bernard Loiseau, son fils spirituel, qui se suicide à cinquante-deux ans, le 25 février 2003.  Le chef légendaire basé à Saulieu (Côte-d'Or) n'a pas supporté un déclassement de deux points, passant de 19/20 à 17/20 dans le guide Gault et Millau.
Bocuse est autant en colère que bouleversé. Il tonne  : "Les critiques sont comme les eunuques, ils parlent mais ne peuvent pas". 
Bocuse fin
L'adieu à la cathédrale-Saint-Jean de Lyon parmi ses collègues, le 26 janvier 2018. 
(Philippe Desmazes/Pool Photo via AP)

La fin de l'ouvrage est bouleversante. Le vieil éléphant sait que sa mort est proche.
Le chef Guy Savoy lui écrit ce joli mot  : "J'aimerais trouver une recette qui pourrait, certains jours, soulager tes maux".
Le fameux guide Michelin écrit dans son édition de 2017 à propos de l'Auberge : "Le restaurant de Paul Bocuse est un véritable monument ; classique parmi les classiques. Chaque assiette incarne l'une des plus belles pages de la gastronomie française. Le grand chef est entré dans l'histoire".
Et l'homme aux trois étoiles finit par les rejoindre tout à fait. C'était le 20 janvier 2018.