Fil d'Ariane
Lauzier revient ! C'est une bonne nouvelle pour celles et ceux qui aiment les émotions fortes. Il y a d'abord une exposition-vente à la Galerie Huberty-Breyne (Paris jusqu'au 3 juin). Plus de cinquante planches originales sont présentées. L'occasion de se laver les yeux avec un peu d'acide et, aussi, pourquoi pas, de craquer et acquérir une oeuvre originale (comptez entre 150 et 1600 euros).
La Galerie est spécialisée dans la vente de planches ayant servies à l'édition.
A sa tête, des passionnés aimables et disponibles, généreux en renseignements et anecdotes. Signalons-le.
La chose n'est pas si courante.
Par ailleurs, les éditions Dargaud, (maison historique de Lauzier depuis 1974), publient l'intégrale de son oeuvre dans une édition particulièrement soignée (29,99 euros). Tournons les pages de ce plaisir abordable.
On respire : le pouvoir décapant des histoires n'a pas bougé.
A l'époque du magazine Pilote, Goscinny, qui était son rédacteur en chef, voyait juste quand il évoquait sa nouvelle recrue : "Au milieu de tous les archanges qui nous entourent et qui pensent bien, il pense mal, c’est d’ailleurs le détail qui fait de lui, profondément, glandulairement, un humoriste".
Dans ces "Tranches de vie" qui tranchent tout et surtout les illusions, il y a un peu du cinéaste Claude Sautet dans l'oeil de Lauzier. La cruauté en plus et une bonne dose de wasabi.
Lauzier observe ses contemporains avec la froideur de l'entomologue qui regarde des insectes se débattre. "Moi, je m'inspire de ce que je vois. Je fais des histoires avec tout ce qui se présente. Mes tranches de vie se baladent de la Chine jusqu'au Brésil, en passant par Paris." dira-t-il sur Antenne 2 en 1979.
Sans doute.
Mais le regard qu'il porte sur ses contemporains est acéré.
Pauvres humains jouisseurs et ambitieux ! A vouloir monter trop haut, la réalité les rattrape.
Pour eux, le coup est rude quand il n'est pas fatal.
Avec Lauzier, malheur à qui veut échapper à sa condition.
Les exemples abondent.
Dans "La course du rat", (adapté au cinéma en 1980 avec le titre Je vais craquer avec Christian Clavier), Jérôme est cadre dans une entreprise. Il se croit auteur et veut goûter un ordinaire moins quotidien que celui qu'il partage avec son épouse et ses enfants.
Bel-Ami sans charme ni vrai talent de scénariste, Jérôme flirte avec le monde interlope du swow-biz et cette fausse proximité le pousse à se voir tout en haut de l'affiche.
Mauvais plan.
Jérôme y perdra sa famille et ses amis. Il restera aux portes de ce monde cinématographique trop fantasmé. Le voici donc condamné à croupir dans sa douloureuse médiocrité. A la fin de la partie, dépossédé de presque tout, il s'écroule en sanglotant. A ses dépends, il a compris la règle du jeu : " Le rat ne doit jamais sortir de son labyrinthe" dit-il, vaincu.
Lauzier se servait d'abord du dessin comme d'une seringue. Pour piquer son public et injecter sa lucidité. Sans jamais avoir la grosse tête : "Je ne suis pas un véritable dessinateur estimait-il. D'ailleurs, mon dessin est très simple. C'est surtout l'histoire, les dialogues et les rapports entre les personnages qui m'interressent."
Après une dizaine d'années de planches dessinées, les bulles lui sembleront étroites pour s'exprimer pleinement. Celui qui recevra le grand prix du Festival d'Angoulême en 1993 pour l'ensemble de son oeuvre réalisera ensuite onze films en qualité de scénariste ou réalisateur. Il signera aussi quatre pièces de théâtre. L'homme des mots et des maux.
Ah, le sexe chez Lauzier !
Il est comme une monnaie d'échange entre les personnages. Les femmes sont presque toujours des objets de luxe. Elles sont affolantes, sensuelles, calculatrices, inattendues. Loin de souffrir de leur état, elles assument leur condition de courtisanes.
Elles revendiquent leur place sur l'échiquier du désir où les mâles, ces pauvres mâles, perdent leur raison et leur argent.
Lauzier est haï par les ultra-féministes. Elles voient en lui un diable fornicateur cynique.
C'est très exagéré !
Artiste sans chapelle, il crispe aussi les sympathisants de gauche, irrite les nantis de droite, insupporte les anars et décourage les cathos.
L'artiste s'en balance.
Son jeu de massacre n'a besoin d'aucun feu vert.
Lors du vernissage à la galerie Huberty & Breyne Gallery, il y a quelques jours, l'acteur Daniel Auteuil se souvenait de son ami : "Aujourd’hui, finalement, rien de ce qu’il décrivait n’a changé, le politiquement correct continue de régner et je crois que son travail continue d’être subversif parce qu’il dit la vérité. Il connaissait l’âme humaine et savait de quoi il parlait. Son œuvre n’est ni de gauche ni de droite. Il critiquait une partie de la société qui était en train de prendre le pouvoir et qui a finalement réussi à le prendre, donc il dérangeait. Sur le plan humain, il était à l’opposé de ce qu’il racontait, c’est assez étonnant. Aujourd’hui, il m’apparaît que son dessin n’a pas bougé et qu’il n’a qu’un seul équivalent en littérature en la personne de Frédéric Beigbeder. Je ne vois que lui qui ait pris sa relève."
Cette exposition et la publication de cette intégrale prouve, en effet, que son talent a gardé son indéniable force corrosive.
L'essentiel est intact.
Merci, Monsieur Lauzier.
Exposition-vente du 5 mai 2017 au 3 juin 2017
Intégrale de Gérard Lauzier, Editions Dargaud (29,90 euros) :