Gilbert & George : 50 ans d'art et quelques barbes.
On les surnomme Dupond et Dupont, Laurel et Hardy, plus rarement Castor et Pollux. Gilbert & George suffit. Et même pour leur complaire, Gilbert est George. Deux individus, un seul artiste comme ils aiment à le dire. Cinquante ans que ça dure, et nulle raison que cela change. «Beards pictures and the Fuckosophie », l’exposition-hommage à leur demi-siècle de collaboration, vient d’être inaugurée à la galerie Thaddaeus Ropac de Pantin. Rencontre avec deux trublions de l’art.
Ils vivent depuis longtemps dans un monde géométrique, mi-prison, mi-vitrail, saturé de couleurs. Vous vous sentez agressé ? Parfait, c’est l’idée. Le monde de Gilbert and Georges, c’est le vôtre, c’est le leur. Ce monde moderne qu’ils conspuent, avec son hypocrisie sexuelle, ses crises de foi, son sexisme primaire, toutes choses qu’ils ont décidées de dynamiter. La galerie Thaddaeus Ropac leur consacre pour leur 50ème anniversaire d’art une grande exposition : une cinquantaine de panneaux, de grands à gigantesques, les représentant en hommes à barbe derrière des grillages, cernés de petites annonces de services en tous genres, essentiellement sexuels . De vieux habitués que le galeriste Thaddeus Ropac accueille régulièrement à Paris.
Que représentent Gilbert & Georges pour vous aujourd’hui ?
Gilbert & George font partie de l’ADN de la galerie. Depuis cinquante ans ils ont créé des séries d’images en utilisant leur technique propre tout en véhiculant des messages puissants et parfois dérangeants. Ce qui leur donne une place importante dans le monde artistique. Thaddaeus Ropac
Des Singing Sculptures des années 70 qui les virent se muer en œuvres d’art vivantes, aux Beards Pictures de cette rentrée, leur mot d’ordre est resté le même : l’Art pour tous, même si le duo est aujourd’hui l’un des plus côtés sur la scène contemporaine. Objets de désir, ils promènent à travers la planète leurs régulières expositions. Après Paris, celle-ci se posera à New York, Londres, Bruxelles, Naples et Athènes. Pour autant, ces voyageurs sont aussi casaniers : ils vivent depuis leurs débuts dans l’East End à Londres, un quartier métissé où se côtoient toutes les classes sociales, toutes les nationalités et confessions. Un quartier-monde où ils trouvent leur matière première et leur inspiration. Dans la maison victorienne achetée en 68 et qu’ils n’ont jamais quittée, se trouve leur atelier rangé au cordeau, où sont classées des milliers de photos. Elles seront choisies avec minutie pour composer les panneaux que Gilbert & George livrent régulièrement aux cimaises.
Pourquoi exposer G&G maintenant?
Gilbert & George travaillent selon un rythme particulier. Pendant trois ans ils se concentrent uniquement sur leur travail pour finir une grande série d’œuvres qui est ensuite présentée à Londres, New York et Paris. Dans ce sens, nous pouvons compter sur eux pour pouvoir organiser une exposition de grande ampleur de leurs nouvelles œuvres tous les trois ans. Thaddaeus Ropac
L’écrivain Michael Bracewell a fait leur connaissance il y a près de 40 ans. Il est devenu leur ami et quasi thuriféraire. A l’occasion de cette exposition « Beards Pictures and the Fuckosophy, » il a organisé avec eux de nombreuses conférences réunies en un livre d’entretien « What is Gilbert & George » à paraître en novembre. Il décrypte l’épidémie de barbes qui s’est répandue au sein de cette dernière production:
Dans chaque image, Gilbert et George portent une barbe aussi surréaliste que symbolique. Il s’agit tantôt de barbes faites de grillage, de mousse de bière, de fleurs et même des barbes abritant des lapins à la langue fourchue. Séculière et sacrée, tant attribut récupéré par les Millennials branchés que signe d’une appartenance religieuse, la barbe est dépeinte dans THE BEARD PICTURES aussi bien comme masque que comme signifiant : un signe des temps. Michael Bracewell
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Bref, Gilbert & George se moquent d’eux autant que de nous. Mais ne vous y fiez pas, les deux messieurs sont très sérieux. Comment pourrait-on ne pas l’être quand on s’est rêvé en Michel-Ange pour Gilbert et en Van Gogh pour George ? Que l’on se définit comme des anarchistes conservateurs favorables à l’économie de marché pour l’art. Et que l’on considère que le grand débat du siècle est la question de l’homosexualité dans l’église anglicane. On peut faire de l’Art foutraque et penser sérieusement.