Fil d'Ariane
Le 15 août 1967, René Magritte s'éteint à son domicile à l'âge de 69 ans, victime d'un cancer du pancréas. On l'enterre au cimetière de Schaerbeek trois jours plus tard. Il n'y a pas foule pour lui rendre un dernier hommage. Ses amis les plus proches.
Son décès survient au cœur de l'été.
Sa disparition est évoquée sobrement dans la presse. Le journal Le Monde évoque "Une certaine facture rigoureuse, résolument traditionnelle, proche de l'académisme, mise au service d'une imagination habile à trouver les rapprochements les plus insolites entre des objets d'une banalité parfaite". Le quotidien du soir rappelle que " Lors d'un voyage aux États-Unis en 1963, il y avait été accueilli comme un des plus grands peintres du siècle."
Pourtant, exception faite des dix dernières années de sa vie, l'artiste n'aura pas connu la fortune que valent aujourd'hui ses toiles. La dernière grosse vente a eu lieu le 28 février dernier chez Christie's à Londres. La Corde sensible, réalisée en 1960, a atteint (avec les frais) la somme de 14,4 millions de livres sterling soit 16,9 millions d’euros.
Record mondial en vente publique pour un tableau du maître.
Magritte ? Une valeur sûre dans le monde de l'Art.
L'artiste a peint 1200 toiles et près de 500 gouaches. Les oeuvres, qui étaient encore accessibles aux collectionneurs au début des années 70, ont connu une fantastique flambée des prix au cours des décennies suivantes.
Et le phénomène est allé crescendo.
L'empire des lumières était partie en 2002 pour près de 12,7 millions $ US. En 2014, la maison Sotheby's vend Le beau monde de Magritte pour 7,9 millions de livres, soit 12,9 millions $ US.
Régulièrement, les sociétés internationales de ventes aux enchères nous annoncent des prix de vente qui explosent les estimations les plus optimistes. "Mais, tempère Charly Herscovici, héritier des droits moraux de l'artiste, on peut trouver une œuvre de Magritte à 100.000 dollars. Au sein de la Fondation Magritte que j'ai créée, un comité d'authentification des oeuvres se réunit deux fois par an et, oui, il arrive que des œuvres réapparaissent..."
Avec aussi de nombreux faux. Mais c'est une autre histoire...
Ah, il est bien loin le temps où René Magritte travaillait à la fabrique de papiers peints Peters-Lacroix à Haren !
C'était en 1922.
Avec Georgette, son épouse-muse-complice-modèle. Il fallait que l'argent rentre. Aussi, l'artiste consumait une grande part de son temps dans ce qu'il nommait "les travaux imbéciles", c'est à dire honorer les commandes d'affiches et de dessins publicitaires. Magritte ne vivra que très confortablement de son travail qu'à partir de 1958, au moment où le marché américain s'intéressera à son œuvre. Moins de 10 années avant de disparaître.
Dans la très complète (et indispensable) biographie que Michel Draguet lui consacre ("Magritte", éditions Gallimard, 2014), le directeur du "Musée Magritte Museum" nous apprend que l'artiste, en 1938, rêvait de calquer ses conditions financières sur celles que connaissaient alors son confrère Salvador Dali.
Il écrivit au poète et mécène britannique Edward James, qui soutenait les artistes surréalistes.
Le marché que l'artiste imaginait alors était simple.
Contre une rente annuelle de 100 livres, Magritte proposait à ce généreux sponsor de choisir une de ses œuvres, n'importe laquelle, réalisée au cours de l'année.
Edward James lui répondit sans détour : "Si tout d'un coup vous deveniez un mauvais peintre — rien n'est impossible — alors je serais en train d'acheter un tableau par an d'un "fabricant d'art" au lieu d'un artiste. Et ce serait la première fois que cela m'arrive".
La réponse, aussi brutale est-elle, a le mérite de la clarté.
On ignore comment Magritte perçu cette fin de non-recevoir. Par précaution, peut-être par désœuvrement, sa femme Georgette conservera longtemps un emploi à "La coopérative artistique", un établissement spécialisé dans la ventes de fournitures artistiques.
Au fait, combien coûte un Magritte en 1930 ? Une toile ou une gouache de petit format vaut alors 5000 francs belges (125 euros). L'artiste estime alors ses besoins annuels à 150.000 francs (3750 euros).
Toute son existence, au prix d'un vie réglée comme une partition, l'artiste travaille d'arrache-pied.
"Aujourd'hui, précise Charly Hescovici, 90 % de son oeuvre est visible. Les collectionneurs privés acceptent de prêter certaines de leurs acquisitions. Paul Mc Cartney, qui fut un collectionneur de l'artiste dès les années 60 (le label original Beatle Apple Records est un hommage à Magritte, ndlr), possède environ 25 toiles. Mais la collection Magritte la plus complète se trouve à Houston. Il s'agit de la Menil Foundation".
Et l'on trouve la signature Magritte à des endroits étonnants.
Depuis le 21 mars 2016, un Airbus A320 de la flotte Brussels Airlines transporte ses passagers aux couleurs de l'artiste. La compagnie explique : " René Magritte ne pouvait pas manquer dans notre série dédiée aux icônes belges (après Hergé et un autre appareil aux couleurs du sous-marin requin de "Rackham le Rouge", personnage de Tintin, ndlr). Cet artiste surréaliste belge a laissé un héritage culturel important et dans son œuvre l’on découvre un lien particulier avec le ciel et le monde de l’aviation".
On ignore ce qu'aurait pu penser Magritte de cette opération-communication, lui dont la toile L'oiseau de ciel était autrefois l'emblème de la Sabena (ancienne compagnie aérienne nationale belge). Mais il est vrai que l'artiste savait domestiquer les nuages.
Pour ce cinquantenaire, le musée Magritte estime que le nombre de visiteurs (actuellement 300 000 par an) fera un bond d'au moins 20 pour cent.
Magritte avait " le sentiment de vivre dans le mystère... Tout dans la vie évoque le mystère... ".
Il devinait certainement que son oeuvre lui survivrait.
En janvier 1967, à Paris, six mois avant sa mort, un journaliste lui parle des néo-réalistes, de la pop et de la résonnance que son oeuvre provoque chez les jeunes. Magritte sourit : " Ils me disent on vous aime bien. Mais ils sont dans leur temps, le néon, les affiches, la technologie...
- Et vous ?
- Moi j'ai le sentiment d'être dans la vérité... "
Message reçu pour des millions de personnes dans le monde.