Instituts français : Quel avenir dans la diplomatie culturelle française ?

La fermeture à la fin du mois de juin de l’Institut français d’Amsterdam relance le débat sur le rôle et la nécessité de ces vitrines de la diplomatie culturelle française à l’étranger. 
Image
maison descartes
La Maison Descartes qui abrite l'Institut français et le consulat général de France fermera ses portes le 30 juin. 
©Institut français d'Amsterdam
Partager8 minutes de lecture

« Nous sommes dépités », confie avec émotion un membre de l'équipe enseignante, n’acceptant de nous répondre que sous couvert d’anonymat, tant les relations avec la direction et l’ambassade de France aux Pays-Bas sont tendues.

L’Etat français a décidé de vendre cette Maison Descartes, qui abrite l’Institut français des Pays-Bas et le consulat général. Cette grande bâtisse, un ancien hospice, acquise par la France en 1966, doit fermer ses portes le 30 juin. 

Le personnel a été alerté mi-mars et les élèves début juin par des affichettes dans l'établissement, signées du directeur de l'établissement Laurent Alberti : "Dans le cadre de la restructuration de l'Institut français d'Amsterdam et du processus de vente du bâtiment, je souhaitais vous informer que l'activité des cours s'arrêtera définitivement le 30 juin 2016."

affiche institut français
Des affichettes dans l'Institut français d'Amsterdam annonce sa fermeture. 
©TV5MONDE
Parmi les enseignants, huit CDD ne seront pas renouvelés, et cinq personnes seront licenciées, précise Gérard Goyon, responsable presse de l’ambassade de France à La Haye. Il est le seul autorisé à répondre à la presse sur le sujet. « C’est une fermeture qui est envisagée depuis assez longtemps parce que l’immeuble ne correspond plus à nos besoins. Il se trouve que, d’une part, le bâtiment du XVIe siècle est assez vieillissant et coûte cher à entretenir. Et l’accès au consulat n’est pas optimal pour l’accueil du public. Cette cession a donc été envisagée depuis un certain temps », explique Gérard Goyon.  
institut français amsterdam
Une des pièces du bâtiment de la Maison Descartes à Amsterdam où se trouve l'Institut français. 
©Institut français d'Amsterdam
 
Quid des différents services de l’Institut français, des cours qui y sont dispensés et de sa médiathèque ?  « Pour l’instant, les contours de ce que sera l’Institut français, en tout cas sa forme administrative, sont encore en discussion », nous précisait fin mai, Gérard Goyon. De son côté, le ministère des Affaires étrangères se fait plus précis sur l'avenir des autres services : « Le service de coopération et d’action culturelle de l’ambassade ne fermera pas ses portes et s’installera dans les locaux de l’ambassade à la Haye. Une alliance française sera créée à Amsterdam. » Elle assurera les cours de français. La décision de l'ouverture d'une nouvelle alliance ne se prendra pas au ministère, mais normalement, au sein de la Fondation Alliance française. 
 

Institut français et Alliance française

  • Dans le monde, le réseau culturel français compte 96 Instituts français (dont 2 aux Pays-Bas) et plus de 800 Alliances françaises (dont 33 aux Au Pays-Bas).
  • Si l'action culturelle extérieure de la France remonte à l'Ancien régime, les Instituts français tels qu'ils existent aujourd'hui ont été créés en 2010 en remplacement de Culturesfrance, qui fusionnait l'Association française d’action artistique (AFAA) et l'Association pour la diffusion de la pensée française (ADPF).
  • Placé sous la tutelle du Ministère des Affaires étrangères, l'Institut français a pour mission notamment de promouvoir et de diffuser la culture française, ainsi que d'"encourager l'apprentissage du français". Il est financé par des fonds publics principalement.
  • Les Alliances françaises, fondées en 1883, sont souvent des structures associatives de droit local. Elles reçoivent des aides financières du Quai d'Orsay également. 

« C’est un choc, une perte énorme »

Le scepticisme quant à l'ouverture de cette alliance française, règne parmi les employés qui ont lancé une pétition en ligne. L’inquiétude gagne aussi les professeurs de français qui collaborent avec l’Institut français depuis de nombreuses années.  
 
« C’est un choc, une perte énorme », explique Guusje Groenen, enseignante et formatrice de professeurs à Inholland. Elle collabore régulièrement avec l'Institut français dans le cadre d'initiatives d'apprentissage du français. Elle s'inquiète de pouvoir continuer son activité sans le centre culturel. « C’est le seul lieu où l'on trouve, et le matériel, et les gens pour encourager toutes sortes d'activités liées au français. On perd ainsi l'occasion de rencontrer ces personnes, et le lieu où échanger, dans un contexte où il faut quand même beaucoup lutter pour garder le français vivant aux Pays-Bas. » 
 
Même ressenti pour Trees Aler, enseignante de français dans un lycée d’Amsterdam pendant 38 ans. Elle est aussi l’ancienne présidente de l’association des professeurs de français aux Pays-Bas dont elle reste membre du bureau : « Je trouve dommage que la France ne veuille plus être représentée au sein de notre capitale culturelle qui accueille l’institut Goethe, l’institut Cervantes, et le British Council. La Maison Descartes est une icône de la culture française ici. C’est un symbole de ce lien qui, traditionnellement, était très fort entre notre pays et la France au niveau culturel et linguistique.  »

Un autre déploiement culturel

Si l’Etat français a décidé de fermer cet Institut français, ce n’est pas seulement parce qu’il semble ne plus pouvoir assumer le coût de fonctionnement de l’établissement. Cette fermeture s’inscrit également dans une nouvelle politique de déploiement culturel français à l’étranger : « Il y a aussi une envie de lui substituer une forme plus adaptée de représentation culturelle dans le pays en nouant des partenariats avec les grandes institutions culturelles, éducatives, scientifiques et universitaires du pays, assure Gérard Goyon. C’est ce que font aussi les Néerlandais à Paris. Cela permet de dégager, hors budget de fonctionnement, des possibilités d’intervention et d’événements plus nourries, plus importantes. » 
 
Dans une tribune publiée dans le quotidien français Libération, Benoît Coffin, ancien directeur adjoint de l’Institut français de Groningue (Pays-Bas) et Céline L’Hostis, ancienne directrice adjointe du même institut appelle à trouver une autre alternative tout en maintenant les établissements : « La France doit préserver ses lieux de culture, de rencontre et de dialogue que sont ses instituts. Ils doivent se réinventer pour assurer le rayonnement de la culture française et de la francophonie dans un monde en mutation. »

Coupes budgétaires

Le cas de l’Institut français d’Amsterdam est loin d’être isolé. Nombreux sont ceux qui ont été fermés (Venise, Porto, Graz) ou qui ont perdu certains de leurs services après un déménagement (Vienne, après la vente du bâtiment au Qatar).
 
La liste s’allonge au fil de ces dernières années, surtout en Europe, en raison d’une crise à la fois budgétaire et politique. « Les budgets que l’Etat consacre à sa politique culturelle extérieure, la diplomatie culturelle, qui inclut les instituts, régresse régulièrement », explique Daniel Haize. Cet ancien conseiller culturel en Argentine, Mexique, Algérie a aussi été directeur de l’Institut français d’Athènes. Il a publié une étude sur la diplomatie culturelle française. Pour lui, le constat est simple : « Sur le court terme, c’est très clair. Le budget que consacre le ministère des Affaires Étrangères à sa diplomatie culturelle, entre 2011 et 2016, a baissé de 10% ».

Les crédits de l'Etat destinés à la diplomatie d'influence, c'est-à-dire "l'action culturelle extérieure, la promotion de la langue française, la coopération scientifique et universitaire, l'enseignement français à l'étranger et le tourisme" sont passés rien qu'entre 2015 et 2016, de près de 748 millions d'euros à un peu de moins de 719 millions d'euros soit une baisse de 3.9%.

Des coupes budgétaires qui se répercutent sur les moyens alloués aux Instituts français. D'après un avis rendu par une commission du Sénat sur le projet de loi de finances 2016, la subvention publique de l'Etat à l'Institut français doit atteindre moins de 29.6 millions d'euros en 2016 enregistrant une baisse de 1,3% par rapport à 2015. Une baisse supplémentaire est attendue pour 2017. Tout en réduisant leur budget d'activité, les Instituts français cherchent des cofinancements et se tournent aussi vers le mécénat. 

Un choix politique 

Mais comme l’indiquait l’ambassade de France de La Haye, et le Quai d'Orsay, ces fermetures sont aussi le résultat d’une nouvelle politique culturelle extérieure française qu’explique Daniel Haize : « On peut penser que l’Etat n’y croit plus beaucoup et qu’il la subie plus qu’il ne la désire et donc on y met moins de moyens. Et il y a aussi une autre raison : le ministère des Affaires Etrangères subit, comme toutes les administrations, des coupes budgétaires depuis très longtemps. Il les applique plus à sa politique culturelle qu’à la diplomatie au sens formel du terme, à la chancellerie. Les déclarations de l’ancien ministre des Affaires étrangères, monsieur Fabius, sont révélatrices. Il n’a parlé que de diplomatie économique, touristique, gastronomique. Il a rarement parlé de diplomatie culturelle. »
 
Outre ces considérations budgétaires et politiques, la fermeture de ces Instituts soulève une autre question : sont-ils encore les outils pertinents de la promotion de la culture française et de l’enseignement de la langue à l’étranger ? Doivent-ils évoluer ? 
 

La fin des Instituts ?

Dans leur tribune, Benoît Coffin et Céline L’Hostis prônent un maintien à tout prix de ces lieux tout en les transformant, ou en louant une partie des locaux à un restaurant, un café, … afin d’assurer un équilibre financier. Pour Daniel Haize, la promotion de la culture française peut se faire différemment. « Indépendamment de toute considération de priorité politique, de budget, etc, l’Institut français n’est pas un objectif en soi, c’est un instrument d’une politique. Aujourd’hui, on arrive à de meilleurs résultats sans avoir à passer par des structures de ce type. On peut faire de la promotion de la langue et de la culture sans une structure proprement dédiée dans le pays. Le meilleur exemple, ce sont les Américains. Il n’y a pas d’instituts américains au même titre que les instituts Goethe, Cervantès, … »

Plus de partenariats et moins de structure donc. Un objectif sur lequel semble aussi miser officiellement le Quai d'Orsay qui veut nouer « un dialogue entre grandes institutions culturelles entre [nos] deux pays, des échanges d’artistes, du débat d’idées, des cultures urbaines et des nouvelles technologies. » Reste à voir si à long terme, cette nouvelle diplomatie culturelle portera ses fruits. 
 
Quant à l’enseignement du français, Daniel Haize a observé qu’il se poursuivait aussi en dehors du réseau des Instituts : « Je l’ai constaté à Athènes, raconte-t-il. Le nombre d’élèves à l’Institut baissait mais le nombre de ceux qui se présentaient aux examens de connaissance de la langue française qui était un monopole de l’Institut, augmentait. Cela signifiait bien que les Grecs allaient apprendre le français ailleurs. »  

Il en conclut ainsi que les Instituts français n’auraient peut-être plus le monopole de l’enseignement de la langue française parce qu’ « aujourd’hui c’est un marché. Donc on peut apprendre le français ailleurs parce que c’est plus près de chez soi, ou moins cher…»
 
C’est sans compter sur l’attachement du public qui fréquente ce genre de lieux comme en témoigne Daniel Haize lorsqu’il dirigeait l’Institut français d’Athènes : « Des Athéniens, passés par l'Institut, gardaient un souvenir immense de l’Institut français. Il y a un lien très sentimental qui se crée parmi les gens qui l’ont fréquenté et qui y ont travaillé. »