
Fil d'Ariane
Avec Camille va aux anniversaires, le lecteur est à la fête. Isabelle Boissard nous offre une introspection réjouissante dans ce récit qui n'épargne personne et surtout pas son auteure. Une réussite.
Il y a quelque chose de rafraîchissant dans ce roman-journal de bord, un truc qui vous emballe doucement, comme ça, l'air de rien, et qui finit par vous tenir en haleine. Est-ce l'humour ? Oui, certainement. Il infuse chaque page. Il est nécessaire comme l'huile à la boite d'embrayage. Il permet de passer les chapitres en douceur. Mais il y a surtout une impertinence, un regard, un ton, comme une petite musique du grincement. Elle arrive, cette musique, à nous séduire comme une flatterie adroite, bien ciblée. Difficile d'y résister.
De quoi parle donc Camille va aux anniversaires ? Le pitch (terme connu de tous qui est censé résumer brièvement une intention mais qui désigne aussi une certaine feignasserie intellectuelle ) est le suivant : Camille, 52 ans, est de retour en France après une expatriation douloureuse au Danemark où son mari, Laurent, qui "adorait son job", et qui "adorait aussi une Danoise" est resté sur place. Elle écrit : "Laurent tout à sa nouvelle joie me laisse jouir du foyer où le feu ne brûle plus". Esseulée dans un Paris qu'elle reconnaît à peine, la voici chargée d'organiser un anniversaire en Bretagne pour Bianca, la compagne de Christophe, son meilleur ami, retenu à l'étranger.
Pour mettre en place l'évènement, Camille dispose d'un crédit illimité et d'un enthousiasme, disons, très prudent. Défilent alors toute une galerie de personnages et de petits faits qui semblent anodins et qui, pourtant, ne le sont guère. Au gré de son cheminement pour mener à bien cette mission acceptée, vont poindre des inquiétudes personnelles où se distingue une solitude aigre-douce. Ainsi, pourquoi cette toux persistante ? Souffre-t-elle d'un cancer ? Sueurs froides. Mais non. Ouf ! Il s'agit d'une simple bronchite . Camille respire : "Merci mon Dieu auquel je ne crois qu'à moitié !"
Au fil de ces 245 pages réjouissantes et toniques, le lecteur à l'impression d'être le lecteur privilégié d'un journal intime mais, rapidement, il se rend compte que ces mots couchés sont un peu les siens, que les impressions ressenties par l'auteure lui appartiennent et que ces personnages croisés sont étonnamment familiers.
Il y a chez Isabelle Boissard du Claire Brétécher dans sa démarche, comme une douce jubilation à jeter une lumière crue sur les tics de notre époque avec ses farandoles d'hypocrisies souriantes et les mille interrogations minuscules qui surgissent dans notre champ visuel : " Je bois un thé dans une tasse sur laquelle est écrit Love you. A-t-on déjà fait des études sur l'impact des mugs à message" écrit-elle. Plus loin : "Y a-t-il plus triste que "aucun nouveau message" "?
Dans cet ouvrage, tout est matière à surprises. L'auteure ne cesse de s' étonner d'un quotidien qu'elle digère à sa façon.
Le banal constitue un terreau sur lequel poussent des fruits inattendus.
Pour déclencher la surprise, il suffit d'un rien, d'une babiole, d'un maquereau, d'une attitude, d'une réaction, d'un regard, d'une visite à Nénette au Jardin des Plantes.
Les hommes et femmes qui traversent ces pages n'ont droit à aucun traitement de faveur.
Isabelle Boissard manie une plume sans complaisance ni effet de style gratuit. Le résultat, pourtant, échappe au jeu de massacre. Ce serait trop facile. Il y a une tendresse dans ce désarroi-copain où elle nous embarque. Elle n'observe pas le monde avec des lunettes noires. Elle détaille avec une inspiration jamais prise en défaut notre quotidien anesthésiant. L'auteure mouille ses personnages comme on le fait avec un papier photographique plongé dans un bain révélateur. Dès lors, les êtres apparaissent tels qu'ils sont : pathétiques, généreux, légers ou diablement lourds. Et jamais elle ne fait preuve de complaisance à son endroit. Question d'équilibre, d'honnêteté aussi.
Nous trouvons là, en filigrane du récit, comme le mode d'emploi d'un carnaval social, le nôtre, où le grotesque le dispute avec le sublime et le spleen avec la bouffonnerie. Comme la vie que nous menons tous, au gré de nos coups de cœur et selon la météo changeante de nos sincérités.
Camille va aux anniversaires se lit comme les confidences d'une amie qui vous ouvre un cœur sincère, un cœur enfin débarrassé de la grimace sociale et, surtout, du maquillage pénible des apparences.
Camille va aux anniversaires de Isabelle Boissard
Éditions Les Avrils / 21,10 euros