Jack London : profession écrivain

Miracle de l'édition : Jack London nous revient avec 93 textes inédits ! Et nous découvrons son rapport avec l'écriture, ses relations avec les éditeurs, les rédacteurs en chef, et tout ce qui fait le quotidien d'un écrivain-aventurier exceptionnel. Bienvenue dans l'introspection d'une oeuvre dont le temps n'a pas émoussé l'incroyable force.
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Jack London
"Ne flânez pas en sollicitant l'inspiration ; précipitez-vous à sa poursuite avec un gourdin et même si vous ne l'attrapez pas vous aurez quelque chose qui lui ressemble remarquablement bien"
(AP images)
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Un moment de sa vie, Jack London est parti chercher de l'or. Le regretté Francis Lacassin, (journaliste-éditeur disparu en 2008), nous a ramené, lui, les pépites littéraires de l'écrivain. Elles ont pour origine la correspondance de cet Hercule des lettres qui n'aimait rien tant, dans la vie, que la sincérité.

Pourquoi ce livre ? "Il permet de dessiner une nouvelle variante d'une personnalité pourtant riche, d'ajouter une facette de plus au personnage. Après le chercheur d'or, le vagabond du rail ou des mers chaudes, le militant socialiste, le prophète du retour à la nature et à la vie rurale, le journaliste envoyé à la poursuite d'une actualité brûlante, après ce personnage itinérant et bouillonnant, en voici une image statique et solitaire : l'homme de cabinet assis devant une page blanche qu'il affronte en un combat feutré et presque toujours ignoré," explique Francis Lacassin dans sa préface.

Jack London
"Une pratique très courante chez les critiques consiste, me semble-t-il, à recenser les fautes de grammaire, les anachronismes, les vulgarités, etc., et à y consacrer leurs articles au lieu de s'occuper de l'histoire elle-même (Jack London)
(AP Photo)

Jack London, aventurier,  homme de lettres et papa

L'écrivain n'a pas rêvé sa vie. Il l'a vécu. "Je ne perdrais pas mes jours à essayer de prolonger ma vie, je veux brûler tout mon temps," disait-il. Il a tenu parole. Jack London s'est calciné. 
Mort à 40 ans.
Son enfance, il la passe dans la rue.  A 14 ans, il trouve un premier emploi dans une conserverie, puis le voici balayeur de jardins publics, menuisier, agriculteur, éleveur de poulets. On le retrouve pilleur d'huîtres et chasseur de phoques en Sibérie et au Japon. De retour aux USA, il parcourt le pays et se fait emprisonner pour vagabondage. L'alcool est entré dans sa vie.

Rentré en Californie en 1896, cet autodidacte  entreprend de brillantes études à l'université d'Alameda.  Il travaille comme un enragé. Le cursus dure deux ans ? Il en fait son affaire en quatre mois. Il s'engage politiquement dans une section socialiste, ce qui lui vaut un mois de prison. Mais le pays à la fièvre de l'or. En juillet 1897, il part aussitôt, dans des conditions épouvantables, dans le Grand Nord. Il partage le quotidien quasi inhumain de ces aventuriers qui ont tout vendu avec l'espoir de faire fortune. Il fait le plein d'histoires et de whisky, revient malade à San Francisco et se met à écrire. Les débuts sont  difficiles avant que les premières nouvelles et le premier roman Le fils du loup ne soient publiés.
"Je suggérerais que la meilleure préparation à la carrière d'auteur est un refus ferme d'accepter aveuglément les canons de l'art littéraire" London se marie, a des enfants, deux filles, et fréquente les milieux intellectuels. Ce romancier est aussi  journaliste dans l'âme. Après une immersion dans les quartiers les plus  pauvres de Londres, il écrit Le peuple de la nuit

De plus en plus endetté, il s'épuise au travail, écrit 5 livres dont L'appel de la forêt mais la vie familiale lui pèse. Il rencontre Charmian Kittredge, l'amour de sa vie, achète un voilier, écrit Le loup des mers. Le voici correspondant de guerre au Japon et en Corée, dont il se fait expulser.
 

Jack London
"Le bureau de l'auteur et ses affaires se trouvent sous son chapeau"
Jack London
(AP Images)

Alcool, livres et morphine

Retour en Californie - Jack London multiplie les meetings politiques, divorce, achète un ranch, se remarie avec Charmian et écrit Croc blanc. Après le tremblement de terre de San Francisco, en 1906, le couple part faire le tour du monde en bateau. Escale à Hawaï, Polynésie... Il écrit Martin Eden, sans doute son chef d'oeuvre. Mais le voyage tourne au cauchemar. Malade, il vend son bateau. Désormais, son quotidien sera le ranch et la terre.

Forçat des lettres, il écrit beaucoup pour payer ses nombreuses dépenses. En 1913, nouveau drame, c'est l'incendie de sa maison. Il se noie dans l'alcool et s'abandonne à la morphine. Reporter lors de la guerre contre le Mexique, il prend position contre les métis mexicains. C'est la rupture avec ses amis socialistes. En novembre 1916, il meurt, à 40 ans. Urémie. Dysenterie. Alcoolisme. L'Hercule des lettres laisse une oeuvre riche d'une cinquantaine d'ouvrages. 

Jack London, profession écrivain  (Editions Les Belles lettres) nous fait partager les coups de coeur de cet écrivain de légende. Cyrano de Bergerac ? "Lisez la traduction en américain de Cyrano de Bergerac ; mais lisez lentement ou pas du tout. Plusieurs morceaux semblent contenir mes propres pensées, mes propres sentiments" (Lettre de 1898 à Mabel Applegarth).

Rudyard Kipling vient de décéder. Il fustige l'hypocrisie des "messieurs voltigeants et babillards" toujours "enclins à discourir longuement" pour évoquer cette disparition. Il  profite de cet article pour expliquer les ingrédients de la postérité : "Parmi les artistes, seuls survivront ceux qui ont parlé justement de nous. Leur vérité doit être la plus profonde et la plus significative, leurs voix claires et fortes, nettes et cohérents. Des demis-vérités et des vérités partielles ne passeront pas plus que les petites voix flutées et les chants chevrotants. Leurs chants devront avoir une dimension cosmique".

Jack London machine à écrire
Portrait de Jack London avec sa machine à écrire posée sur un bureau à l'intérieur de la chambre de sa femme dans leur chalet à Glen Ellen (Californie)
( AP Photo / Eric Risberg , File)

Dans cet ouvrage ô combien pertinent et furieusement moderne, Jack London constate, lucide : "L'exploitation du scandale, bannie de la presse quotidienne réapparaît par endroits dans les magazines. La note dominante, c'est d'être populaire. La publicité fait rentrer l'argent, le tirage amène la publicité ; le magazine amène le tirage (...) si  bien que le rédacteur en chef imprime dans les pages de son magazine ce qu'un grand nombre de gens ont envie de lire. Il n'imprime pas ce qu'ils devraient lire, car sa fonction consiste à être complice et non éducateur. Attitude bassement commerciale".

Un an avant avant de mourir, il dédicace un exemplaire à sa mère : "Je crois que l'esprit et la matière sont si intimement liés qu'ils disparaissent ensemble quand la lumière s'éteint".
L'ouvrage est multiple. Au fil des chapitres, il est aussi question de censure, de plagiat, de critiques, de conseils à de jeunes écrivains. Jack London n'a rien oublié de ces années de galère, quand les fins de mois lui revenaient sept fois par semaine.
On lit cet ouvrage comme on déguste une pâtisserie intellectuelle. On y goûte, on y revient, on y retourne encore sans jamais risquer l'indigestion. C'est que l'intelligence et la clarté étincellent à chaque page.  Le livre révèle l'étonnante modernité d'une pensée magnifiquement généreuse. Et donc bienvenue.

Livre Jack London

Jack London / Profession : écrivain


Traduit de l'anglais par Francis Lacassin et Jacques Parsons. Préface par Francis Lacassin.



Éditeur Les Belles Lettres
Support Livre broché
Nb de pages 400 p.
ISBN-10 2-251-21026-1
ISBN-13 978-2-251-21026-1
GTIN13 (EAN13) 9782251210261