Fil d'Ariane
C'est la Comédie française qui ouvre le bal des hommages. "Cabaret Léo Ferré", à la Galerie du Carrousel du Louvre, propose un florilège de 16 chansons avec, en guise d'interprètes, sept sociétaires du Théâtre-Français.
Les chansons relèvent de la "période Barclay" (1960-1974) où Léo enregistrera parmi ses plus grands succès populaires.
Il y a les difficilement contournables ("Avec le temps", "Paris Canaille", "Jolie Môme...) mais aussi quelques chefs d'oeuvre ressuscités : "La lettre", "La mauvaise graine".
Parenthèse : on peut regretter que la période suivante , période dite des "années toscanes" 1975-1993, ne soit quasiment jamais chantée dans les spectacles-hommage. C'est pourtant, à notre avis, la plus audacieuse, la plus luxuriante...
Passons.
Claude Mathieu qui signe la direction artistique du spectacle avec Nicolas Valliliev, écrit joliment : " Ferré se brûle et nous brûle dans les pentes vertigineuses d’une
mémoire sensorielle inéluctable, car bel et bien enfouie au tréfonds de tous ceux que la vie dévore quand les souvenirs affleurent, remontant d’on ne sait où, en flopée d’émotions, qu’il nous réimprovise d’une certaine façon, entre l’ordre et le désordre."
L'entreprise, pourtant, n'était pas gagnée.
Comment se mesurer à un tel artiste et échapper à la comparaison ? Eh bien, précisément, en ne se mesurant pas. En libérant simplement l'émotion qui perle dans les vers du poète et en se laissant griser par son champagne musical.
Bravo à Benoît Urbain, qui signe la direction musicale et les arrangements de ce spectacle. Avec intelligence et une infinie délicatesse, cet accordéoniste-pianiste- compositeur nous promène sur le continent Ferré. En douceur. Il sert l'artiste sans jamais se servir lui-même. Mention spéciale pour son travail sur Avec le temps. Remarquable de sobriété et d'efficacité sur cette chanson magique dix mille fois écoutée et particulièrement casse-gueule.
Seul bémol : l'agencement un peu maladroit des chansons. Il crée quelquefois des courts-circuits émotionnels. Ainsi, l'éclosion joyeuse, pétulante d'une Jolie Môme cohabite aussitôt avec le mélancolique Est-ce ainsi que les hommes vivent de Louis Aragon. Curieux.
Paris-canaille, sorte de bande dessinée pétaradante, côtoie La Lettre, texte-poême d'un amour fou, apaisé et magnifique :
stratégiques (Iris) écrit : " Ferré est pour moi LE poète francophone majeur du vingtième siècle. Il a aussi permis de mieux faire connaître l’œuvre de nombreux poètes, les poètes maudits et Aragon à un large public (...) Je tente à mon modeste niveau de lui rendre hommage, de payer une partie de ma dette à son égard, pour tout le plaisir qu’il m’a directement ou indirectement procuré".
Les éditions du petit Véhicule à Nantes publient également "Léo Ferré- Droit de réponse". Cet essai, signé par votre serviteur, évoque les rapports de l'artiste avec la critique. Un travail de recherche qui s'appuie sur près de 50 ans d'articles de presse. A mots plus ou moins couverts, souvent acides, nombre de journalistes lui reprochaient son âge, son argent, ses voitures, ses qualités de chef d'orchestre, "son" anarchie. Léo leur répond.
L'ouvrage dévoile aussi de nombreux aspects de sa vie dont certains sont peu connus : ainsi sa scolarité au sein de Science-Po entre 1935 et 1939 où il croisa sans doute François Mitterrand.
"Léo Ferré-Droit de réponse"paraîtra en octobre prochain.
Enfin, le 16 avril à Ivry sur Seine, au Forum Léo Ferré, Christiane Courvoisier (dont le prochain album dédiée à Léo " Entre la Mer et le Spectacle..." sortira le 9 mai), rendra hommage au musicien-poète. Dans cette même sale, Ivan Perey et Jean Dubois donneront une "conférence chantée" à travers 12 chansons.
On le voit, Léo Ferré est toujours avec nous et ce, "jusqu'à certaines heures pâles de la nuit". Ni le temps ni les modes n'ont empoussiéré son oeuvre. Il y a 100 ans, à Monaco, naissait un artiste majeur.
Irremplacable, irremplacé.
Vital.