Autochtone, queer, figuratif, kitsch, post-moderne et post-colonial... pour sa réouverture, le Centre culturel canadien de Paris n’a pas reculé devant un peu de provocation en programmant cette exposition monographique de Kent Monkman.
Né en 1965 en Ontario, l’artiste, plasticien et performeur, est d’ascendance Crie, une des Premières Nations du Canada et s’est fait remarquer par le détournement du regard occidental sur les Amérindiens.
Il récidive avec cette série conçue spécialement pour le Centre et qu’on aimerait imaginer au cœur du Louvre tant elle subvertit la peinture classique européenne. Revoici les grands mythes comme « Leda et le cygne », le « rapt de Ganymède », « les trois Grâces » - devenues de gros ours bruns dansants - où il introduit son alter-ego de fiction et de représentation, Miss Chief Eagle Testickle, récurrente créature dénudée, qui affiche une sensualité débridée, de longs cheveux bruns et des escarpins Louboutin.
On trouvait important de donner la parole à un artiste pas du tout consensuel. Catherine Bédard, la commissaire d’exposition.
Dans une performance au musée de Montréal, titrée « Une autre plume à sa coiffe », la belle Miss Chief en chair et en drag épousait le couturier Jean-Paul Gaultier… La vidéo est projetée au Centre. « Pour notre première exposition dans ce lieu, on trouvait important de donner la parole à un artiste pas du tout consensuel », explique Catherine Bédard, la commissaire d’exposition et programmatrice du Centre culturel canadien. « Kent Monkman est quelqu’un qui a un intérêt pour l’histoire de l’Art et pour l’histoire de la France en tant que puissance coloniale. Lui, à son tour, va coloniser la grande histoire de l’Art. C’est un colonialisme à l’envers. »
Dans la pièce maîtresse de l’exposition d'une dimension 7,5 mètres sur 3,5 mètres, c’est le célèbre « radeau de la Méduse » qui devient « Miss Chief’s wet dream » (le rêve érotique de Miss Chief). Les naufragés - une compagnie bigarée de figures de la peinture européenne- rencontrent une pirogue d'autochtones.
Kent Monkman porte aussi une grande attention au rapport des hommes à l’animal. Il a prélevé dans les collections du Musée des Confluences à Lyon dix artefacts, animaux naturalisés ou représentations, posés ici comme des "ready-made". Un choix limité aux espèces nord-américaines.
" Je suggère qu'ils nous contemplent, nous le public humain , ainsi que ma peinture de leurs interactions mythologiques avec nous...", explique l'artiste. "... J'ai décidé de limiter mon choix d'animaux aux espèces nord-américaines pour souligner combien à la fois le Canada et les Etats-Unis ont non seulement exagéré mais concocté dans leurs mythes fondateurs des fictions qui s'arrangent avec la vérité les concernant en tant que nations colonialistes. Les animaux sont les témoins de ces mensonges."
Une manière certainement de redonner un "esprit" et un "pouvoir" à ces bêtes familières chez les autochtones du Canada, des facultés dont ils ont été dépossédées par la pensée scientifique et positiviste occidentale.
Cette exposition marque la réouverture du Centre culturel du Canada à Paris, après la fermeture du bel hôtel particulier qu'il occupait sur l'Esplanade des Invalides. Il rejoint maintenant les nouveaux locaux de
l'Ambassade, dont il est le bras culturel.
Un nouveau Centre culturel du Canada
Le Centre culturel du Canada dispose maintenant d'un grand espace qui permet d'exposer des grands formats à la Monkman, d'une mezzanine et d'un auditorium tout neuf - une centaine de places assises- qui permettra de reprendre le cycle de concerts. Manon Dumas, sa directrice et Conseillère culturelle à l'Ambassade veut y développer les synergies entre action diplomatique et culture.
>>Le Centre culturel Canadien et l'Ambassade sont désormais au 130, rue du Faubourg Saint-Honoré à Paris. Exposition Kent Monkman "La Belle et la Bête" jusqu'au 5 septembre 2018.
Catalogue publié chez Skira.