Kevin Lambert remporte le prix Médicis, malgré une polémique

Le Canadien Kevin Lambert vient de remporter le prix Médicis pour son roman "Que notre joie demeure". Pour éviter les maladresses dans l'écriture de ce livre, le Quebecois a fait appel à une relectrice canado-haïtienne, ce qui a valu d'être au centre d'une polémique dans le milieu littéraire français. Explications.

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Kevin Lambert

Kevin Lambert, auteur de "“Que notre joie demeure”, prix Médicis 2023

Le Nouvel Attila via Instagram
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Le Canadien Kevin Lambert vient de remporter le prix Médicis. Son roman, “Que notre joie demeure”, aux éditions du Nouvel Attila, faisait partie des huit prétendants pour ce prix, une des plus prestigieuses récompenses littéraires de l’automne.  

A ses côtés, figuraient d’autres grands titres de cette rentrée littéraire, comme le roman d’Eric Reinhardt, “Sarah, Suzanne et l’écrivain”, ou encore “Triste tigre” de Neige Sinno, tous deux finalistes du prix Goncourt.  

Lire : Qui sont les quatre finalistes du prix Goncourt ?

L’auteur de 31 ans avait déjà fait parler de lui au mois d’octobre, en remportant le prix Décembre avec le même roman.  

“Que notre joie demeure” raconte l’histoire de la chute d’une architecte accusée de chasser les pauvres de Montréal. 

Que notre joie demeure

"Que notre joie demeure", le roman de Kevin Lambert, aux éditions du Nouvel Attila 

Le Nouvel Attila via Instagram

Salué par la critique 

Pour le deuxième tour de ce prix Médicis, Kevin Lambert faisait face à la Marocaine Salma El Moumni, avec son roman “Adieu Tanger”. Le Canadien, salué par la critique pour la justesse de sa critique sociale et l’audace de son style, a remporté la récompense avec six voix contre quatre.  

Pour l’écriture de son roman, Kevin Lambert a fait appel à une relectrice canado-haïtienne, censée vérifier la crédibilité de l’un de ses personnages, Pierre-Moïse, un architecte d’origine haïtienne.  

La polémique autour des sensitivity readers

Aux Etats-Unis et aux Canada, faire appel à ce que l’on appelle des “sensitivity readers” (lecteurs sensibles en français) est une pratique assez repandue que l’auteur, explique comme un “geste d’humilité”. Le but de cette pratique est de remarquer certains éléments, susceptible de blesser une partie du lectorat, et qui auraient échappé à l’auteur.  

“On ne va pas se mentir. La fiction a charrié pendant des années de nombreux stéréotypes grossiers sur les personnages minoritaires, qu’ils soient homosexuels, féminins, juifs, non blancs...
Kevin Lambert dans Télérama 

Seulement, en France, cette pratique encore méconnue avait suscité interrogations et polémiques dans le milieu littéraire. Au mois de septembre, Le Nouvel Attila, l’éditeur de Kevin Lambert, avait félicité ce dernier via Instagram, pour avoir travaillé "avec un sensitive reader pour (…) coller au plus près de la réalité, être le plus juste possible”, une révélation qui avait été vivement critiquée par Nicolas Mathieu, lauréat du Goncourt 2018.  

Ce dernier avait écrit sur son propre compte Instagram : “Faire de professionnels des sensibilités, d’experts des stéréotypes, de spécialistes de ce qui s’accepte et s’ose à un moment donné la boussole de notre travail, voilà qui nous laisse pour le moins circonspect. Qu’on s’en vante, voilà qui est au mieux amusant, à la vérité pitoyable.” 

Une volonté de l'auteur d'éviter les maladresses

Interrogé quelques jours après ces déclarations par Télérama, Kevin Lambert était revenu sur sa collaboration avec Chloé Savoie-Bernard, la relectrice canado-haïtienne avec laquelle il avait travaillé pour l’écriture de son roman.  

Lire : Kevin Lambert répond à Nicolas Mathieu : “La lecture sensible, c’est presque l’inverse d’une censure”

L’écrivain québécois avait alors expliqué sa volonté “d’écrire une diversité de personnages”, un choix “politiquement important”, selon lui. Il avait justifié cette collaboration, qui lui a avant tout “permis d’éviter des maladresses”. Pour illustrer ces possibles maladresses, Kevin Lambert avait donné l’exemple d’un passage du roman, dans lequel il écrivait “que le personnage rougissait, mais Pierre-Moïse est noir : il ne peut pas vraiment rougir”, disait-il, content d’avoir pu retirer ce passage de son livre.  

“On ne va pas se mentir. La fiction a charrié pendant des années de nombreux stéréotypes grossiers sur les personnages minoritaires, qu’ils soient homosexuels, féminins, juifs, non blancs... Or, je voulais qu’il y ait une forme de justesse dans ma manière de l’écrire.” avait-il déclaré à Télérama, ajoutant qu’en tant que “queer et gay”, il serait prêt à lui aussi, un jour, à “effectuer ce travail de lecteur sensible avec un auteur straight (hétérosexuel), qui aurait envie d’écrire un personnage gay, ou d’écrire sur un enjeu touchant à l’identité de genre”.