La réalisatrice Agnès Varda s'est éteinte dans la nuit de jeudi à vendredi. L'ancienne compagne du cinéaste Jacques Demy avait 90 ans. Elle est décédée chez elle des suites d'un cancer. La famille du cinéma perd une artiste audacieuse, engagée et d'une humanité rare.
"Atteindre le plus grand nombre en mettant la barre très haut " . La cinéaste était exigeante. Elle laisse une oeuvre où l'humain, toujours, domine. Elle tournait souvent dans l'urgence et avec des moyens modestes.
Elle confie à
Libération :
" C'est une grande différence entre Jacques Demy et moi. Il voulait faire de grands films avec de grands moyens, et il avait de la patience. Tandis que j'ai toujours voulu faire tout, tout de suite, pour éviter que l'attente ne détruise les projets." De fait, son oeuvre est poreuse de cette urgence de vivre.
Dans "Sans toit ni loi" Mona (Sandrine Bonnaire) est une zonarde qui poursuit une longue errance et qui finira morte de froid, morte d'avoir voulu trop vivre hors de la société et de ses règles.
Dans "Cléo de 5 à 7", Cléo, une jeune chanteuse craint d'être atteinte d'un cancer. En attente de ses résultats médicaux, pour tromper sa peur, elle déambule dans Paris et se rend compte tout à coup de la vacuité de son existence.
La mort l'accompagne dans ce temps qu'il faut tuer. Ses yeux se dessillent.
Aurait-elle oubliée de vivre ?
Photographe au TNP pour Jean Vilar
Native de Bruxelles, adolescente à Sète, Agnes Varda débute sa carrière avec un appareil photo. Elle est de l'aventure du Festival d'Avignon aux côtés de
Jean Vilar.
Et on lui
doit parmi les plus beaux portraits jamais réalisés de l'acteur Gérard Philipe.
" En 1954, j’étais photographe au TNP et je connaissais peu le cinéma. Il me semblait alors que beaucoup de “révolutions littéraires” n’avaient pas leur équivalent à l’écran. Aussi me suis-je inspirée, pour mes recherches, de Faulkner, de Brecht, essayant de briser la construction du récit, de trouver un ton à la fois objectif et subjectif, de laisser au spectateur sa liberté de jugement et de participation. "
La photo est sa première passion : "Avec mon appareil photo, j'étais en Chine en 1956, quand le pays n'était même pas reconnu à l'ONU, et à Cuba au tout début, quand la flamme de la révolution brillait de tous ses feux."
Mais cette curieuse indomptable se tourne vers le cinéma... et, avec lui, ne tournera jamais en rond.
Agnès Varda, qui lança la Nouvelle Vague
Quatre ans avant François Truffaut et ses "400 coups", film qui obtiendra le prix de la mise en scène à Cannes, Agnès Varda réalise en 1956 "La pointe courte" avec Philippe Noiret et Sylvia Monfort. Ce premier film est entièrement en décors naturels. Alain Resnais se charge du montage.
Pr sa liberté, le film annonce la Nouvelle Vague.
Pourtant, elle ne sera jamais vraiment admise dans le clan de ces "jeunes turcs" (Truffaut, Godard, Chabrol, Rivette) qui entendent tout bouleverser à grands coups d'articles assassins et d'audaces narratives.
Qu'importe. Elle sera classée parmi les cinéastes "Rive Gauche", aux côtés d'Alain Resnais et de Chris Marker. Rien d'infammant. D'ailleurs, elle s'en fout.
Ni dogme, ni condamnation, ni mot d'ordre.
Agnès Varda est une femme libre, qui continue son chemin. Elle préfère l'école libre aux querelles de chapelles.
Son inextinguible curiosité est son seul GPS. Elle avance, farfouille, s'étonne, tourne ce qui lui plait, devient amie avec Jim Morisson lors de son exil à Paris. C'est elle qui fera le nécessaire, en toute discrétion, pour l'inhumation de l'artiste américain au cimetière du Père Lachaise en juillet 1971. Fidèle en amitié et pudique, sa vie durant, elle refusera d'évoquer ces moments avec les journalistes .
Je suis d’une nature révoltée et radicale. Sans cela, il n’y a guère de salut.
Agnès Varda
Jacques Demy, l'amour de sa vie
Elle rencontre
Jacques Demy au Festival de Tours en 1958.
L'homme de sa vie.
Le réalisateur des "Parapluies de Cherbourg" trouve avec elle une complice idéale mais aussi une maman attentive pour leur enfant, Mathieu Demy, futur acteur et cinéaste. Lui élève et reconnait Rosalie, future décoratrice qu'Agnès Varda a eu d'une précédente union.
La tribu Varda-Demy est solide. Elle habite rue Daguerre, dans le 14
e arrondissement de Paris. A la fois cocon, foyer, ruche... et maison de production (Ciné-Tamaris).
Les succès s'enchainent. On trouve toujours ces artistes là où on ne les attend pas.
Ils sont libres, amoureux et artistiquement très féconds.
Mais Jacques Demy meurt du sida à 59 ans en 1990.
Au Figaro, elle confie : "
Je voulais qu’on se dise que c’est une histoire d’amour, aussi. Comme un ressort qui tend ma vie. Je dis qu’il est mort du sida mais je ne suis pas dans la lamentation, je suis dans le compagnonnage avec les morts".Son amour lui aura inspiré un film infusé de cet amour incandescent,
Jacquot de Nantes et deux documentaires :
Les demoiselles ont eu 25 ans et
L’Univers de Jacques Demy.
Avec Jacques Demy, on faisait souvent des puzzles. Il disait presque à chaque fois : "Il manque une pièce !" Dans notre connaissance de l'autre, qui est la grande aventure de la vie, on approche par amour, par confidence, par intuition. Mais il manque toujours une pièce."
Les "documenteurs"
Parce que la logistique est bien moins lourde qu'avec un long-métrage, la cinéaste se tourne volontiers vers le documentaire (qu'elle surnomme affectueusement "le documenteur"). Coup de chance, l'apparition des caméras numériques à l'aube des années 2000 lui procure une souplesse bienvenue. Elle s'empare de l'objet avec une gourmandise joyeuse. Dès lors, certaines "petites gens" apparaissent sous son objectif. Agnès Varda leur rend hommage avec une poésie rafraichissante et respectueuse.
Une dizaine de films suivront.
Citons, parmi la dizaine de films L
es Glaneurs et la Glaneuse, étonnante mosaïque de personnes occupées à récupérer de la nourriture dans les poubelles des supermarchés, boulangeries ou à la fin des marchés.
Féministe convaincue
Son tempérament libertaire épouse la cause féministe. Si elle répugne à signer les pétitions "
A part, en 1971, le manifeste pour le droit à l’avortement, car c’était un acte politique, qui avait du sens, qui a fait bouger les choses" Agnès Varda suivait de près
l'actualité du cinéma. Sur l’affaire Weinstein, elle déclare
au journal Le Monde : "C’est bien qu’elle éclate, parce qu’elle autorise les femmes à parler, et parce que les hommes sont secoués. (...) Ce type-là me débecte. Je n’ai jamais voulu le rencontrer. Autour de lui, les gens savaient, on n’a jamais freiné. Pourquoi ? Car c’était le patron. Tout le temps, c’est une histoire de pouvoir. (...) Dans les rapports sexués, l’humiliation est toujours du côté des femmes. Ça ne changera que si on fait bouger les opinions des hommes. On peut crier mais il faut convaincre, cela commence par l’éducation, l’école, les mères… Je suis d’une nature révoltée et radicale. Sans cela, il n’y a guère de salut. "Vive, toujours alerte et en alerte, elle se voulait lucide sur son parcours :
Je travaille depuis très longtemps, je n’ai pas fait une carrière d’argent, je n’ai pas réussi, je n’ai pas eu de succès d’argent, mais j’ai été connue, je suis connue et reconnue et appréciée. Donc mon travail n’est pas dans l’ombre, mais mon travail est dans la discrétion ".Lucide et humble.
Une grande dame, décidément.