C’est une gouache peinte en 1887 par l’un des pères de l’impressionnisme – et anarchiste - Camille Pissarro. Disparue depuis une cinquantaine d’années, "La Cueillette des pois" avait refait surface récemment au musée Marmottan à Paris, où elle a été exposée début 2017.
Le tableau avait été confisqué à Simon Bauer, un collectionneur juif spolié en 1943.
Né en 1862, ce grand amateur d'art a fait fortune dans la chaussure. De groom dans un magasin, il gravit tous les échelons pour finir patron, et revendre son affaire à 40 ans. Il passe ensuite son temps à «voyager dans le monde entier» à «se cultiver», lui qui n'a pas fait d'études, raconte son petit-fils Jean-Jacques Bauer, 87 ans.
Surviennent la Seconde Guerre mondiale et l'occupation. Interné à l'été 1944 à Drancy, Simon Bauer échappe miraculeusement à la déportation et à l'extermination, grâce à une grève des cheminots. Un an plus tôt, sa collection a été confisquée et vendue par un marchand de tableaux désigné par le commissariat aux questions juives de Vichy.
Libéré en septembre 1944, Simon Bauer s'attèle à retrouver ses tableaux. A sa mort, en 1947, il n'a réussi à récupérer qu'une petite partie de sa collection. Ses descendants poursuivent sa quête.
En 1965, ils apprennent, grâce à Georges Bernier, éditeur de la revue d'art l'Oeil, que deux tableaux, dont La cueillette, doivent être vendus sous le manteau et tentent d'intervenir. Les oeuvres sont mises sous main de justice, mais le juge ordonne la main-levée de la saisie, et le marchand américain qui venait de les acheter repart avec les tableaux. Ils seront ensuite vendus à Londres chez Sotheby's en 1966. Le tableau s'évanouit.
Apprenant un demi-siècle plus tard que "La Cueillette" est exposée dans le cadre de la rétrospective au musée Marmottan, Jean-Jacques Bauer, petit-fils de Simon Bauer, saisit la justice en mars 2017 afin que l’œuvre, prêtée au musée par un couple d'Américains qui l'a achetée en 1995, ne quitte pas la France une fois l'exposition terminée.
Pour revendiquer sa propriété, les Bauer s'appuient sur une ordonnance de 1945 déclarant nuls les actes de spoliation. «Il faut que ce tableau reste en France», estime son avocat, Me Cédric Fischer.
Les époux Toll, eux, ont acquis La Cueillette lors d'une vente aux enchères chez Christie's à New York. Ils "ignoraient totalement" que le tableau était issu d'une spoliation, selon leur avocat, Me Soffer qui invoquent leur bonne foi.
Ils s'opposent cependant à sa mise sous séquestre. Mettant en cause la compétence de la justice française, l'avocat estime que le délai pour contester à ses clients la propriété de l’œuvre est expiré. Il "ne peut exister aucun litige sérieux sur la propriété et la possession de ce tableau", affirme-t-il. "On ne répare pas une injustice en en créant une autre".
Le 30 mai 2017, pourtant, le tribunal de grande instance de Paris ordonnait le placement sous séquestre de l’oeuvre, le temps que soit tranché le litige sur sa propriété. Il est conservé au musée Marmottan jusqu'à la fin de l'exposition, puis par l'établissement public des musées d'Orsay et de l'Orangerie.
Mardi, la justice a tranché, de nouveau, en faveur des premiers: la cour d'appel de Paris a confirmé un jugement rendu en novembre 2017 par le tribunal de grande instance, qui ordonnait la restitution de "La Cueillette" aux Bauer.
La voie est donc ouverte à la remise à cette famille du tableau, qui se trouve sous séquestre à l'établissement public des musées d'Orsay et de l'Orangerie. Les modalités exactes de la levée du séquestre, qui peut prendre du temps, n'étaient pas connues mardi.
La cour d'appel comme le tribunal se sont notamment appuyés sur l'ordonnance d'avril 1945 sur la nullité des actes de spoliation, pour rendre "La Cueillette" aux Bauer.
Les époux Toll, qui considèrent "cette décision erronée en droit", "vont se pourvoir en cassation", selon leur avocat, Ron Soffer. Un tel recours n'est toutefois pas suspensif.