
Fil d'Ariane
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- Le Bateau-Lavoir de Picasso déménage à Montparnas...
Picasso vient de s'installer dans cet immeuble vétuste. C'est là, 13 place Emile-Goudeau, en 1907, qu'il créera Les demoiselles d'Avignon.
Le Bateau-Lavoir ? Un lieu irrespirable en été, glacé en hiver et qui ne dispose que d'un seul point d'eau. Qu'importe. Les loyers y sont modestes. Surtout, l'endroit concentre un nombre inouï de talents affirmés ou en devenir.
On y croise, entre autres, Brancusi, Modigliani, Utrillo, Pierre Mac Orlan, Max Jacob, Guillaume Apollinaire et André Salmon.
Picasso va se lier avec ces trois derniers. Une amitié solide. Entre ces esprits hors du commun, il pétille comme un champagne d'intelligence. Ils ont toutes les audaces. Cela tombe bien : dans ce siècle gamin, tout est à réinventer. Alors chacun rivalise d'audace libertaire pour épater l'autre et l'émouvoir. Et c'est précisément de cela dont parle ce spectacle, de ces émotions artistiques, parfois fugaces, de ces morceaux de vie qui palpitaient alors comme un coeur saignant. La fièvre créatrice se partageait comme le vin. Epoque imbibée de jouissances.
Picasso faisait l'amour avec Fernande Olivier sans imaginer que la guerre approchait. Le coeur d'Apollinaire battait pour Marie Laurencin et les orages intérieurs du poète lui faisaient écrire, tremblant : Oui je veux vous aimer mais vous aimer à peine...
De cette époque-parenthèse, et qui ne durera que quelques années, il nous reste les écrits d'Apollinaire, de Max Jacob et de André Salmon. Trio magique. Tiercé poétique.
Le Bateau-Lavoir nous offre quelques uns de ces textes-témoignages, véritables minutes du plaisir.
Le spectacle ressuscite les mots oubliés. Il leur fait prendre l'air en chansons et en récits. Et nous respirons avec eux.
Jean-Jacques Beineix, très à l'aise, nous conte cette prose enchantée avec conviction. "C'est une lecture, dit-il, mais je suis passé de l'autre côté du miroir ! Quand on s'est planqué pendant quarante ans derrière la caméra, se retrouver ainsi dans les lumières, c'est une sorte de transgression heureuse. J'ai toujours lu et aimé les textes. J'aime la musique des mots."
Les images, cette fois, sont dans les chansons de Franck Thomas et de Reinhardt Wagner. De véritables photographies musicales. Le duo (à qui l'on doit déjà Kiki de
Montparnasse) les habille d'un pyjama de poésie et de musique. Héloïse Wagner et Emmanuelle Goizé interprètent les créations de Cabaret Picasso avec une belle aisance et une complicité jamais prise en défaut. La diction est précise et les voix savent moduler une émotion dont chaque mot est poreux.
Picasso aimait ses amis, qui le lui rendaient bien. Mais qui étaient-ils, ces amis ?
Si l'on ne présente plus Guillaume Apollinaire, il n'est pas inutile de brosser rapidement un bref portrait de Max Jacob et de André Salmon. Et c'est d'ailleurs l'un des mérites de ce spectacle musical, que de ressusciter ces deux esprits magnifiques soumis aux caprices de la postérité.
Le spectacle dure 1h15. Il est dense, nous l'avons dit, et, peut-être, il aurait été souhaitable d'aménager quelques pauses musicales dans ce feu d'artifice de mots d'esprits et où éclosent à chaque instant des diamants poétiques.
L'attention, en effet, est mise à rude épreuve. Cette réserve faite, on reste séduit par l'intelligence du propos et la grâce qui s'en dégage. Ce Bateau-Lavoir nous lave de la médiocrité ambiante.
Le Cabaret Picasso mérite de butiner les coeurs francophones.
Et pas seulement parisiens.
Du 31 MAI au 14 JUILLET 2016 ( mardi, mercredi, jeudi 20h30)