Le Mundaneum de Mons, une encyclopédie virtuelle du 19ème au 21ème siècle

Phare de l'événement « Mons, capitale culturelle européenne 2015 », le Mundaneum s’inscrit dans la lignée de ces nouveaux musées dits « intelligents ». Il fut surtout, à l'initiative de ses inventeurs, précurseur d'Internet, de Wikipedia ou de Google.
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Classer, ranger, pour une bibliothèque universelle, tiroirs du Mundaneum à Mons en Belgique
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Les quotidiens « La Libre » belge et le français « Libération » ne s’y sont pas trompés. Tous deux titraient, il y a peu, sur le Mundaneum de Mons, en Belgique, en référence au géant américain de l’exploration des données : « Google de papier » pour l’un, le  « Réveil du google oublié » pour l’autre. Ce lieu bien insolite a aussi eu les honneurs du New York Times, de Der Spiegel  et de nombreux autres médias « worldwide ».  

L’histoire du Mundaneum, Centre d’archives de la Communauté Wallonie-Bruxelles, est intimement liée à celle d’Henri La Fontaine, grand avocat, puis sénateur, dont l’action fut saluée en 1913 par l’attribution du Prix Nobel de la Paix. Sous l’impulsion de sa sœur Léonie, la Ligue  belge du droit des femmes, il s'afficha comme l'un des pionniers du féminisme, ici et ailleurs : « Les femmes forment la majorité du genre humain et constituent dans l’armée pacifiste les plus gros bataillons », écrivait-il. En tandem avec lui, Paul Otlet, considéré comme le « père de la bibliographie ».

L'utopie d'une bibliothèque universelle

A la fin du XIXème siècle, les deux hommes ont en commun le rêve fou de rassembler toutes les connaissances du monde, de les encoder et de les indexer, de telle sorte qu’elles deviennent accessibles  quelle que soit la langue de l’utilisateur. Ils créent, en 1895, l’Office International de la bibliographie. Une démarche qui vaut aux auteurs du projet  des invitations à travers l’Europe et la planète et une Médaille d’or lors de l’Exposition Universelle de Paris en 1900.

L’utopie vise à  mettre en place  à la fois un répertoire et une bibliothèque universelle. Et le projet prend réellement forme. D’abord au travers de plusieurs millions de fiches bibliographiques; puis de la collecte de documents, de journaux (les numéros 0 ou 1 du monde entier), d’affiches, de cartes postales, de plaques photographiques. Au point de mobiliser des dizaines de  documentalistes, presque uniquement des femmes et …bénévoles.

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Des dizaines de femmes bénévoles procédèrent à la mise en fiche et à la collecte des documents
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Le projet de La Fontaine et d’Otlet est mis en veilleuse durant la Grande guerre de 1914-1918, mais la volonté des deux hommes de s’engager pour le pacifisme est encore plus vive à l’issue du conflit.

Leur « Palais Mondial » est inauguré en 1920 dans une aile du Cinquantenaire à Bruxelles, où 150 salles lui sont peu à peu dédiées. Le Mundaneum fera l’objet ensuite de plusieurs tentatives du gouvernement belge visant à le déloger. Il sera occupé par les Allemands, puis il connaîtra dès 1941 des années d’errance, jalonnées par la disparition de nombre d’archives, pour enfin trouver un très beau point de chute à Mons grâce à l’action conjuguée des autorités municipales et de la Ministre communautaire de l’époque Fadila Laanan, comme le rappelle Jean-Paul Deplus, son président : « Aujourd’hui la Région Wallonne épaule, elle aussi le projet, sous la férule du Ministre Jean-Claude Marcourt , en prise directe avec l’implantation ici en Hainaut d’une Digital Innovation Valley ». Quant au lien entre le Mundaneum et la thématique de « Mons capitale européenne de la culture 2015 », à savoir « Where technology meets culture » (Quand la technologie rencontre la culture), il est limpide.

Même les geeks considèrent Otlet comme un visionnaire

                                                                     Jean-Paul Deplus, président du Mundaneum

Aux sources du projet, le génie de Paul Otlet consiste à mettre au point un mode de rédaction et d’ordonnancement des informations  qui s’appuie sur une adaptation de la classification décimale inventée par le bibliothécaire américain  Melvil Dewey en 1876. Il pressent aussi très vite la force que constituent les microfilms.
 

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Paul Otlet, Henri La Fontaine et son épouse Mathilde Lhoest devant les portes du Palais Mondial au Cinquantenaire à Bruxelles, et la façade aujourd'hui
Wikicommons, Michèle Jacobs


L'ancêtre d'Internet

De nombreux chercheurs à travers le monde considèrent aujourd’hui Otlet comme l’ancêtre de Wikipédia et surtout comme le précurseur d’internet, de l’hypertexte, de la combinaison inter-réseaux d’information. Mais son engagement et celui d’Henri La Fontaine n’avait de sens que si les initiatives liées à leur démarche s’inscrivaient dans une ferme volonté d’œuvrer au service de la fraternité entre les peuples, du pacifisme, du développement du droit international, et cela en marge de la diplomatie institutionnelle.  

En 1910 Henri La Fontaine et Paul Otlet mettent sur pied l’Union des Associations Internationales, qui inspire 2 Congrès mondiaux où les associations étudient comment contribuer aux problèmes, sociaux, économiques, politiques et intellectuels auxquels sont confrontées leurs sociétés. L’idée d’un musée international en était la suite logique.

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Une pyramide centrale, l'un des projets architecturaux pour le Palais mondial
Michèle Jacobs

A parcourir le site du Mundaneum à Mons, à découvrir la sélection parmi les 6 kilomètres d’archives exposées, le visiteur est frappé par les réseaux, les concepts, les ramifications incroyables du projet. Les fondateurs entretiennent très tôt des contacts avec plusieurs grands architectes, « visionnaires » comme eux, dont surtout Le Corbusier, pour l’édification d’une véritable Cité Mondiale. Plusieurs schémas en attestent, et l’idée d’une pyramide centrale y surgit. L’histoire de cette utopie architecturale est plus qu’édifiante, traversée d’épisodes où apparaissent les noms des Présidents Wilson et Roosevelt, de Mussolini et même brièvement d’Hitler, débouchant sur des  rêves d’implantation à Bruxelles, Tervuren, Anvers,  Rome, Genève…

La grande solution, magnissima charta

Au fronton de leur saga, on épingle « The Great Solution : Magnissima Charta », œuvre qualifiée de magistrale, qu’Henri la Fontaine publie à Boston en 1916 : il y appelle à la constitution  des Etats-Unis d’Europe et détaille l’organisation du pouvoir judiciaire international en prélude à ce qui donnera  naissance plus tard à la Société des Nations. Henri La Fontaine, auréolé de son Prix Nobel,  est alors en exil aux Etats-Unis où il veut unifier tous les mouvements pour la Paix et où il est invité à donner des conférences dans les universités sur les moyens qu’il préconise pour régler les conflits. Il préside alors le Bureau International de la Paix.

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Le concept de l’ordinateur, le livre « télévisionné » y furent inventés et croqués...
Michèle Jacobs

Sur les cimaises du Mundaneum figurent aussi des croquis de Paul Otlet, dans lesquels il entrevoit comment utiliser plusieurs technologies naissantes pour organiser des téléconférences, des cours à distance. Le concept de l’ordinateur, le livre « télévisionné » y sont croqués. D’autres schémas  montrent les ramifications  entre relations internationales et grandes industries impliquées dans des processus de guerre.

D’Alfred Jacquard à  Stéphane Hessel en passant par les Frères Dardenne et Leila Shahid…

Jean-Paul Deplus, est au gouvernail depuis le début de l’aventure de l’installation des collections à Mons. Avec la directrice du lieu Charlotte Dubray, il a tenu à concilier mémoire et prospective. Au-delà de l’intérêt muséal du lieu, c’est effectivement l’inscription dans le futur, dans l’imaginaire, dans la créativité sous toutes ses formes qui fait la singularité du Mundaneum.

Le magasin coopératif « L’Indépendance », qui a été trouvé  à la fin des années 80 pour abriter le Centre d’archives, a d’abord été confié  au crayon du magnifique bédéiste qu’est François Schuiten, l’auteur des « Cités obscures » et à son comparse de toujours le scénariste et écrivain Benoit Peeters. La scénographie qu’ils ont imaginée dans ce lieu Art Déco joue sur l’atrium et les galeries ordonnancées autour d’une mappemonde géante, sur les meubles fichiers rescapés du Cinquantenaire.

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Aujourd'hui, les galeries sont ordonnancées autour d’une mappemonde géante, sur les meubles fichiers rescapés des destructions
Michèle Jacobs



Leur démarche est au centre d’une conférence-fiction, un des événements phares de l’actualité du Mundaneum, qui se tient le 16 novembre prochain, en lien avec l’exposition « Lumières sur les cités » organisée au Centre de la gravure et de l’image animée à La Louvière.

Ici, c’est une équipe d’historiens, d’archivistes qui est à la manoeuvre. Avec pour mission de sauvegarder le fonds d’archives, de le mettre en valeur et d’inscrire l’Institution dans des programmes de recherches.
Des collaborations ont été tissées avec nombre d’universités, montoises, belges, françaises, américaines (une Chaire Otlet existe à l’Université de Chicago), espagnoles, britanniques, australiennes.
Des « parrains » prestigieux, tels le scientifique Alfred Jacquard, le résistant Stéphane Hessel, les Frères Dardenne cinéastes multi-palmés à Cannes, ou encore la diplomate Leila Shahid,  ont répondu à l’appel du Mundaneum. Le Science Museum de Londres, la Cité des Sciences à Paris, la BNF figurent parmi les « grands » interlocuteurs du site.  Le Mundaneum est partie prenante du programme « Memory of the World » mis en place par l’UNESCO pour préserver ou sauver le patrimoine documentaire mondial, et de la Bibliothèque numérique européenne qui depuis 2008 a engrangé quelque 29 millions de documents numérisés.

Quant au lien avec le présent et le futur, il passe par de nombreux cycles de conférences, des ateliers, des activités pédagogiques ouvertes au monde enseignant. Par de multiples expositions aussi, qui  sont montées in situ,  telles « Mapping Knowledge. Comprendre le monde par les données », ou « Utopia: artistes engagés, tous enfoirés ? »  ou encore « Edmond Picard, un bourgeois socialiste belge ».

Un partenariat avec Google qui fait peur à certains

Expositions virtuelles aussi où l’on retrouve un partenariat entre le Mundaneum et Google. Le géant américain dispose, précisément à proximité de la ville de Mons, d’un de ses plus grands Data Centers européens. En 2012, le Mundaneum annonçait d’ailleurs un partenariat étroit avec la firme.  Après le Belge Robert Cailleau, considéré comme co-inventeur du web au CERN, un des managers de Google, Bill Echikson, était venu parler de la responsabilité sociétale de Google, qui dans la foulée  était disposée à épauler le Mundaneum et rendait accessibles en ligne les expositions via son Google Cultural Institute. Cette collaboration, Jean-Paul Deplus y était très favorable car il y voyait le moyen de donner une impulsion majeure à la numérisation des collections, mais il sait aussi « qu'elle  a fait peur à certains ».

Le débat sur le pouvoir de Google, les immenses services rendus gratuitement, mais aussi le risque d’abus de position dominante, le sujet est toujours brûlant.