Le théâtre comme thérapie, au sein de la communauté rwandaise de Belgique !

Dramaturge, comédien, metteur en scène et producteur, le jeune Belge d'origine rwandaise Victor Emmanuel Jyambere, promeut le théâtre en kinyarwanda, sa langue natale. Rescapé du génocide de 1994, le théâtre lui sert aujourd'hui de thérapie. 
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Victor Jyambere portrait
Victor Emmanuel Jyambere, lors d'une représentation avec sa troupe de théâtre. 
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Avec son mètre quatre-vingt-dix, Victor Emmanuel Jyambere en impose. Il s’exprime aujourd’hui avec calme et assurance. Difficile alors de croire que ce grand gaillard soit un ancien timide, durant sa prime enfance.

Victor Jyambere enfant
Victor Emmanuel Jyambere à l'âge de deux ans, au Rwanda.
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Né le 24 janvier 1983, à Murambi, dans la province du nord du Rwanda, dans une famille plutôt aisée, Victor Emmanuel Jyambere a tout juste onze ans quand commence le génocide de 1994, qui a coûté la vie à près d’un million de personnes, en quelques mois. Par une ruse dont seule la vie a le secret, ses parents ainsi que toute sa fratrie en réchappent, contrairement à sa grand-mère maternelle, tout comme trois de ses oncles, et de nombreux cousins et amis d’enfance.

L'exil belge et l'apprentissage du néerlandais

Trois ans plus tard, en 1997, la famille s’exile en Belgique, où elle parvient, après de nombreuses péripéties, à obtenir le statut de réfugiée politique.

Durant leurs premiers mois dans le royaume, la famille s’installe à Molenbeek-Saint-Jean, une commune populaire du nord-ouest de la région de Bruxelles-Capitale, dont l’image a été très fortement ternie depuis les attentats qui ont eu lieu le 13 novembre 2015, à Paris.

Victor sa mere et ses freres
Victor Emmanuel Jyambere, sa mère et deux de ses frères, devant le domicile familial, à Boortmeerbeek, en Belgique.
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Mais très vite, ils déménagent à Termonde, en Flandre-Orientale. Un dépaysement total pour cette famille, au sein de laquelle personne ne parle alors flamand.

Durant les premiers mois, le jeune Victor Emmanuel mémorise des tas de mots, sans les comprendre. Puis, soucieux de s’intégrer au mieux, notamment par l’école, il se met à l’apprentissage du néerlandais.

Après des études primaires et secondaires qu’il effectue entre la Flandre et la région Bruxelles-Capitale, il entreprend un cursus universitaire en sciences économiques en 2005.

Deux ans plus tard, il quitte définitivement l'enseignement supérieur, pour se lancer dans la vie active. Aujourd’hui, il est responsable du service client d’une PME bruxelloise.

Un jour, quelqu’un m’a demandé si les Noirs allaient au théâtre.

Victor Emmanuel Jyambere

Mais surtout, Victor Emmanuel Jyambere est habité par le théâtre. « J’ai découvert le théâtre à l’école secondaire », dit-il, amusé. Et dans un grand éclat de rires, il ajoute : « j’ai attrapé le virus. Et comme j’aimais déjà écrire, j’ai continué, tout simplement. » Autodidacte assumé, il a tout appris sur le tas. Et à force de collaborer à des projets de théâtre associatifs, il a décidé, en 2014, de fonder sa propre troupe : Urugero, qui signifie référence ou exemple, en kinyarwanda, l’une des quatre langues officielles du pays, avec le swahili, le français et l’anglais.

Faire du théâtre exclusivement en kinyarwanda

Une particularité cependant : la troupe joue toutes ses pièces en kinyarwanda. « Un jour, se souvient-il, quelqu’un m’a demandé si les Noirs allaient au théâtre. La seule façon pour moi de répondre à une question aussi stupide, c’est de jouer en kinyarwanda. Mais c’est aussi la meilleure manière, pour moi, de m’adresser à ma communauté, en évitant les écueils de la traduction.»

Pour le moment, je fais une sorte de thérapie communautaire.

Victor Emmanuel Jyambere

En choisissant de faire du théâtre exclusivement en kinyarwanda, Victor Emmanuel Jyambere répond aussi à une nécessité : mettre des mots sur les maux qui minent toujours une bonne partie des populations rwandaises, au pays comme dans la diaspora, vingt-cinq ans après le génocide. Cette langue, il l'a apprise avec sa famille bien sûr, mais aussi à l'école, là-bas, au Rwanda.

Naturalisé Belge il y a un peu plus de dix ans, Victor Emmanuel Jyambere n'en reste pas moins fier de sa langue et de ses origines. « Comme très jeune j'ai compris que je ne serai jamais totalement Belge, précise-t-il, j'ai décidé d'embrasser le côté rwandais. Ce qui veut dire, maîtriser la langue et m'intéresser à tout ce qui touche à ma culture.»

Troupe Urugero
La troupe de théâtre Urugero, lors de la première représentation de la pièce Si ubutwari ni ubuzima, en novembre dernier, à Anderlecht. 
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Grâce au théâtre, Victor Emmanuel Jyambere enseigne aujourd'hui le kinyarwanda aux membres de sa troupe. Un devoir pour cet amoureux des langues africaines. Passionné d'écriture depuis toujours, il y trouve un moyen de faire face à la réalité, tout en exprimant ses sentiments.

Et même si certains critiquent ses pièces de théâtres, car, à leurs yeux, elles manquent parfois de profondeur ou de psychologie,  il promet de travailler d'arrache-pied afin de s'améliorer, tout en essayant de ne pas être moralisateur.

En écrivant en kinyarwanda, je me fais ma propre thérapie et j’utilise une langue que j’adore.

Victor Emmanuel Jyambere

Et à tous ceux qui seraient tentés de l'accuser de communautarisme, car son théâtre est en kinyarwanda, il répond qu'il veut d'abord s'adresser à sa communauté. Il souhaite aussi rendre cette langue sexy, et inciter les plus jeunes à l'apprendre. 

« Choisir c’est renoncer, avoue-t-il humblement. Pour le moment, je fais une sorte de thérapie communautaire. J’ai commencé avec les Rwandais. Qui sait, un jour, je me mettrai peut-être à écrire en français pour conquérir l’Afrique, et en anglais pour toucher le monde entier. En tout cas, en écrivant en kinyarwanda, je me fais ma propre thérapie et j’utilise une langue que j’adore.» Avec un apparent détachement, il rappelle qu’ils ont vu et vécu des choses horribles, durant le génocide. Des événements sur lesquels il faut parfois revenir, en dépit des plaies, encore béantes, et parfois toujours à vif.

Un féministe assumé qui revendique un théâtre engagé

Auteur, comédien, metteur en scène et producteur, Victor Emmanuel Jyambere a monté une première pièce intitulée « Urwango ngukunda », qui parlait justement des relations inter-ethniques dans le Rwanda post-génocide. Présentée en juillet 2015 au célèbre Palais des Beaux-Arts, à Bruxelles, cette pièce met en scène l’amour impossible entre le fils d'un présumé génocidaire et une rescapée.

Au sein de la cummunauté rwandaise de Belgique, le succès est immédiat. « A travers cette pièce, dit-il, je voulais montrer les discours extrémistes qui peuvent subsister entre les Rwandais, et soulever les questions sensibles qui existent des deux côtés [ches les Hutus comme chez les Tutsis, deux des trois grands groupes de populations du pays]»

public
Une partie du public, lors de la première représentation de Si ubutwari ni ubuzima, en novembre dernier, à Anderlecht.
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Sa deuxième pièce, « Burya si Buno », qui signifie « les choses ont changé » ou « ce qui fut n’est plus », est jouée un an plus tard, dans la même salle. Cette fois, Victor Emmanuel Jyambere entendait dénoncer les violences faites aux femmes, au sein de la société rwandaise.

En dépit de l’affluence des membres de la communauté rwandaise de Belgique, et du succès d’estime, la troupe peine encore à multiplier les représentations, obligeant Victor Emmanuel Jyambere à produire lui-même ses spectacles.

Affiche

Il y a quelques mois, Innocent Kamana, comédien et membre-fondateur de la troupe Urugero est décédé, d’une crise cardiaque. Un drame qui a secoué la troupe, les obligeant à resserrer leurs liens, afin de poursuivre cette belle avenure, en dépit de la douleur, extrême.

Et pour lui rendre hommage, Victor Emmanuel Jyambere a écrit « Si ubutwali ni ubuzima », une pièce qu’ils présenteront pour la deuxième fois dans quelques jours, à Anderlecht.

L’histoire, c’est celle d’un père qui s'occupe de sa fille, après le décès de la mère de cette dernière, son épouse.

Féministe convaincu, Victor Emmanuel Jyambere revendique un théâtre engagé, et même engageant, comme disait le grand écrivain et dramaturge congolais Soni Labou Tansi. A travers ses pièces, il tente de transmettre des messages de tolérance et d’humanisme.