Fondée en 1988 par la comédienne Louise Richer, l’École nationale de l’Humour est un établissement privé reconnu par le ministère de l’Éducation du Québec. Elle offre deux cursus à ses étudiants : le premier, écriture humoristique, se donne sur une année, coûte 10 000 dollars et accueille huit étudiants en moyenne. Le deuxième, création humoristique, s’étale sur deux ans, reçoit un maximum de 15 étudiants par an et coûte 15 000$.
« L'objectif fondamental, principal, c’est l'acquisition de la plus grande efficacité comique possible » explique la fondatrice et directrice Louise Richer. Cours de pose de voix, techniques de micro et de mouvement, écriture de gags, improvisation, créativité : autant de cours pour apprendre le métier d’humoriste. « Mais nous voulons aussi donner aux étudiants une culture générale et une compréhension du monde dans laquelle ils pourront puiser pour faire leur métier d'humoriste : cours de science politique, cours d'humour et société, et, absolument indispensable : 75 heures de cours de français » précise Louise Richer. L’école s’est aussi rapidement adaptée aux développements des nouveaux canaux de communication que sont les réseaux sociaux et la multiplication des médias et des plateformes, notamment sur le web.
« Je pense que le plus gros apport de l'école, c'est de trouver sa voie unique, son authenticité, ultimement c'est ça qui fait qu'on se démarque et on peut vraiment faire rire à notre manière. Ici on vient chercher des outils de base, qui vont nous aider à travailler au quotidien, après on développe notre propre voie, notre personnage » fait remarquer Pierre-Oliver Forget, étudiant en création humoristique.
Guillaume Chouinard, enseignant de l’ÉNH, le confirme : « Ils arrivent ici avec une grande volonté et un talent certain et après, nous, ce qu'on essaye de faire, c'est de faire émerger les particularités de chacun, parce que personne ne travaille de la même manière, et c'est très important, en tant que prof dans une école d'art comme celle-là, de respecter ça. On ne peut pas les mouler à notre manière de penser l'humour, il faut plutôt aller découvrir quel est leur sens de l'humour et les encourager à l'assumer et à aller à fond dans cette direction-là. On essaye de les ouvrir à toutes les possibilités et eux ils vont choisir leurs couleurs, ce qu'il leur plaît, on ne veut pas que les gens sortent de l'école formatés pour qu'ils ressemblent aux humoristes de l'école de l'humour, on essaye de leur donner les outils les plus variés possible ».
La directrice Louise Richer ajoute : « C’est l’ADN même de notre école, de son approche pédagogique : un accompagnement individualisé, une recherche de singularité et d'unicité. Plusieurs ont cru au début que l’école était un moule, mais c’est tout sauf un moule. On le réalise quand on voit la diversité des styles et des univers humoristiques développés par nos diplômés » - ils sont plus de 600 maintenant à détenir ce diplôme de l’ÉNH.
L’autre particularité de cette école, c’est le réseautage pour faciliter la carrière des étudiants : tout au long de leur parcours scolaire, ils sont régulièrement mis en contact avec les professionnels du milieu de l’humour. C’est ce que confirme Julie Beausoleil, étudiante en écriture humoristique : « On est vraiment bien entouré par les professeurs qui sont déjà dans le milieu et on ressent leur expérience à travers leur enseignement, ils nous donnent l’heure juste sur ce qu’il se passe en dehors de l’école, dans le milieu de la télé, dans le milieu de la scène, etc. C'est comme une porte rapide pour se rendre dans le milieu de l'humour, c'est par là qu'on passe... dans sa poche, un certificat de l'école de l'humour, c'est une bonne chose ». Julie va terminer l’école en mai en faisant un stage professionnel.
Quand les étudiants en création humoristique terminent leur cursus, ils partent faire une quarantaine de spectacles un peu partout dans le Québec. L’école les accompagne entre la fin des cours et le lancement de leurs carrières. « On multiplie les activités d'arrimage avec le milieu professionnel, producteur, utilisateurs de talents, éventuels employeurs. Quand les finissants quittent l'école, ils ont déjà dessiné les premiers jalons de leur carrière, c’est un aspect fondamental de notre école » précise Louise Richer. « C'est une école qui a les pieds bien ancrés dans la réalité de l'humour et de son business » assure Guillaume Chouinard.
Une approche individualisée donc, un accompagnement jusqu’aux marches de leur carrière, mais aussi un soutien dans l’introspection nécessaire pour développer sa personnalité d’humoriste. « Dans notre esprit, on accompagne à la fois un artiste, un citoyen et un humain, soutient Louise Richer. La démarche artistique requiert un grand plongeon au fond de soi-même, une exploration de son être, ce qui peut être déstabilisant pour l’étudiant. Alors l'accompagnement est total ». L’étudiant apprend aussi à apprendre et gérer ses échecs.
« L’humour, c’est aussi une prise de risque constante et il faut savoir accepter l’échec. Pour nous, on ne parle pas de droit à l’erreur, on parle de DEVOIR à l’erreur » souligne la directrice. Apprivoiser l’erreur et l’échec donc, ça fait partie aussi de ce que l’étudiant de l’École nationale de l’Humour apprend. « Il y a une notion extrêmement importante en humour, c'est assumer : au-delà de l'accompagnement, de la rétroaction, de la stimulation, ce sont les étudiants qui en font la synthèse, qui portent leur message et qui portent leur vision parce qu'ils doivent complètement l'assumer » ajoute Louise Richer.
Unique dans le monde, la réputation de l’École nationale de l’Humour a depuis longtemps dépassé les frontières du Québec. Le tiers des étudiants admis cette année viennent de France, parce qu’une école de ce genre n’existe pas dans l’Hexagone. C’est le cas de Stéphanie Machart, fraîchement débarquée de Paris et enchantée par son expérience : « C’est une école où les cours sont extrêmement bien construits, on a des cours d'écriture humoristique, des cours de création qui permettent de mettre en place des numéros une fois par semaine, on a des cours de voix, de créativité, le programme pédagogique est conçu pour s'améliorer de semaine en semaine sur un numéro, et on voit tous les aspects de la construction d'un numéro pour être le plus efficient possible sur scène ».
Stéphanie voit une différence marquée entre les humoristes québécois et les français : « Les Québécois font beaucoup de « act out », de personnages sur scène, ils ont une présence magnifique, quand ils sont sur scène, on est vraiment captivé, ils font beaucoup plus, ils punchent beaucoup plus que nous en France... en tous cas moi ça me plaît la façon dont on fait de l'humour ici. Et ce que j'aime aussi ici, au Québec, c'est que la place de l'humour est importante, autant pour ceux qui font l’école, les humoristes que les gens dans la vie de tous les jours qui sont tellement contents d'aller voir des spectacles d'humour, je trouve que c'est tellement valorisant de faire de l'humour ici, beaucoup plus qu'en France ».
Louise Richer ne s’en cache pas : elle serait ravie de pouvoir transplanter le modèle de son école dans d’autres pays de la Francophonie : « d'une certaine façon, notre institution fait école. Éventuellement, je pense que le cadre qu'on a élaboré aujourd'hui peut vraiment convenir à l'ensemble de la Francophonie. C’est vraiment une des priorités pour 2019 ». L’autre priorité, c’est le développement des interventions de l’école au sein des entreprises québécoises. « Depuis quelques années, nous faisons des ateliers dans les entreprises pour favoriser l'humanisation des milieux de travail, car c’est l'un des grands enjeux actuels » explique Louise Richer. Ces formations d’un jour remportent un beau succès au sein des entreprises et des associations professionnelles où elles se donnent.
L’École nationale de l’Humour a aussi créé en 2011 l’Observatoire sur l’humour : il rassemble des chercheurs, sociologues, psychologues, linguistes, historiens et professionnels de l’humour pour faire des études scientifiques sur l’humour.
« L'humour c'est très sérieux et c'est tellement fondamental, c’est un mécanisme fondamental d'équilibre humain, de socialisation, de résilience. Il y a une phrase clé chez nous, c'est une phrase de Eugène Ionesco, c'est là où il n'y a pas d'humour il n'y a pas d'humanité. C’est le côté lumineux de la force » conclut Louise Richer dans un grand éclat de rire…