Fil d'Ariane
« De mémoire de guignol » (Massot éditions) que signe Bruno Gaccio n 'est pas un livre d'histoires mais plutôt un livre d'Histoire. Cet essai évoque une époque pas si lointaine où la satire et la caricature télévisuelle étaient admises et encouragées malgré la pression des politiques.
Attention, vitriol !
A l'origine de cet essai, la colère de Bruno Gaccio qui prend fait et cause pour la journaliste belge Charline Vanhoenacker après l'arrêt brutal de sa quotidienne sur France Inter « C’est encore nous ». L'émission, impertinente, acide et drôle, remportait pourtant de très beaux succès d'audience.. Tiens donc, Charline, aurait-elle était victime d'une censure étatique ?
Bruno Gaccio ouvre alors la boite de ses souvenirs avec, tout du long, en filigrane, une réflexion pertinente sur les rapports régulièrement douloureux entre ceux qui font l'humour et ceux qui estiment en être les victimes, des rapports, disons, rarement consentis...
L'animal sait de quoi il parle.
Bruno Gaccio est un auteur (et non pas un humoriste précise-t-il) fameux à l'inspiration féconde. Cet autodidacte « La formation la plus courante consiste à observer les anciens, à se cultiver, les lire, puis les critiquer, avoir un avis et l'envie de le partager, se foutre d'eux, les contester et surtout avoir envie de faire » est le co-créateur des Guignols de l'Info sur Canal +.
A l'époque, le censeur est en panne. Avec Benoît Delépine et Jean-François Halin, ses premiers compagnons de plumes, ils vont tendre la liberté d'expression au maximum comme on pourrait le faire avec un élastique : jusqu'au point de rupture. « Un auteur a besoin de liberté et de tranquillité, d'irresponsabilité créative, le polluer avec la réalité ne fait que le corseter, l'effarouchement crée l'hésitation qui retient la plume » écrit-il.
La première de l'émission culte a lieu le 29 août 1988, quatre mois après la réélection de François Mitterrand, Cette quotidienne sur Canal + fait se gondoler la France. La liberté de ton et l'insolence subversive qui infusent chaque numéro emballent, séduisent. courroucent, scandalisent. C'est inédit. André Rousselet, créateur de la chaîne, les soutient, Pierre Lescure, aux commandes de ce bateau souvent ivre, garde le cap. Certes, il grogne parfois mais il protège son équipage et ne contrarie jamais ce vent de liberté qui fait gonfler les voiles... et grossir le nombre d'abonnés. Enfin, il y a Alain de Greef, le directeur des programmes anar, un taiseux curieux qui aime être surpris et qui laisse son bureau ouvert pour laisser entrer les projets fous. Avec lui, tous les genres sont permis sauf le genre ennuyeux.
Mais rien n'est gratuit.
Bruno Gaccio, d'une plume vive, précise, jamais revancharde, évoque les menaces qui pèseront plus tard sur lui et son équipe d'auteurs au gré des différentes présidents de la chaîne qui vont succéder à Pierre Lescure. Il pleut soudain des pressions qui ne sont pas de la petite bière : colère du CSA, apparatchiks politiques ouvertement menaçants, tsunami de lettres d'indignation, menaces de censure... Et puis aussi, il faut fournir, mettre du charbon dans la locomotive du rire. Chaque jour, vraiment, est un nouveau défi : comment traiter par la satire les attentats du 11 septembre, les banlieues en feu, le suicide de Pierre Bérégovoy ? « De Mémoire de Guignol » en profite pour éteindre une légende tenace comme une tâche d'encre : « On n'a jamais rendu Chirac sympathique. Il était déjà sympathique. Rendre Balladur sympathique eût été un exploit, comme présenter Sarkozy honnête... pas crédible ».
Bruno Gaccio paiera chèrement sa fronde libertaire et potentiellement dangereuse pour le pouvoir en place. Ainsi, au début des années 2000, alors qu'il mène à l'époque une contestation interne contre le licenciement du patron de la chaîne Pierre Lescure, il découvre, atterré, dans un livre publié en 2005 qu'il a été filé et photographié par un ex-employé des services de sécurité. On veut socialement le tuer. Il est même envisagé un piège pour le faire tomber dans une fausse affaire de stupéfiants.
Du passé dira-t-on.
Mais le présent, selon l'auteur, n'est pas bien reluisant si l'on évoque le climat politique actuel : « L'auteur, s'il se sait libre, doit aussi savoir pourquoi il l'est et qui lui accorde cette liberté. Le niveau de liberté autorisé par l'autorité qui le décrète dit aussi le niveau de maturité de la démocratie qu'elle représente ».
Et de constater, aujourd'hui en France, qu'il n'y a plus aucune émission d'humour politique...
Bruno Gaccio
"DE MÉMOIRE DE GUIGNOL"
(La censure n'est jamais politique")
Massot Editions
Mise En Vente : 12/10/2023
Prix TTC : 18 €
ISBN papier : 978-2-38035-399-0