Qui, parmi nous, peut se vanter de maîtriser parfaitement l'orthographe ? Qui n'a jamais eu quelque appréhension au moment d'expédier un mail, une note, une lettre ?
Le doute peut nous prendre.
Et si parmi ces mots jetés se cachait une faute d'accord, une erreur orthographique ? Rien de très grave, bien entendu, mais pourquoi ressentons-nous comme une gêne, un frisson de culpabilité, une poussière de honte ?
C'est qu'on ne quitte jamais vraiment les années scolaires. Ah, ces moments terribles ! Quand le professeur de français annonçait les notes des rédactions. Les copies tombaient sur la table.
La sentence écrite à l'encre rouge...
Faire des fautes d'orthographe !
De nos jours, on ne risque rien sinon, peut-être, une vague déconsidération chez l'expéditeur du courrier, un air navré. Et puis, si c'est nous qui recevons la missive truffée de fautes, il est permis d'en sourire. Et de penser à Gide : "Les fautes des autres, c'est toujours réjouissant".
Cet ouvrage consolera les cancres que nous étions peut-être. Parce que les plus fameux stylistes de la langue, mais oui, ont tous fait des fautes de français.
Anne Boquel et Etienne Kern les relèvent avec une gourmandise évidente.
En publiant Les plus jolies fautes de français de nos grands écrivains (Editions Payot), ces deux professeurs de lettres, tels deux inspecteurs traquant la bavure, apportent une fraîcheur bienvenue dans l'univers souvent coincé des belles-lettres.
Jules Verne décrit à ses parents la situation dans la capitale après le coup d'Etat de 1850 : "Les maisons sont criblées de bal !" écrit-il sans tituber.
Balzac prend sa plus belle plume quand il s'adresse à madame Hanska : "Allons adieu, vous une de mes consolations secrètes, vous vers qui vole mon âme et ma pensée"
Toujours Balzac, dans La cousine Bette : "Ta pension de retraite et le peu que j'ai, en mon nom, nous suffira".
L'immense Victor Hugo lui-même ne dédaignait pas les fautes d'accord. Dans Le Mendiant (Les Contemplations), il écrit :
"Et, pendant qu'il séchait ce haillon désolé
D'où ruisselait la pluie et l'eau des fondrières
Je songeais que cet homme était plein de prières"
Baudelaire adressant une missive à sa mère : "Ma chère mère, une de tes dernières lettres contenaient des promesses et des offres que pour rien au monde je n'accepterais."
Parfois, c'est le mot juste qui fait cruellement défaut. Les auteurs rapportent cette anecdote délicieuse au sujet d'Emile Littré, l'insurpassable lexicographe. Le grand homme avait un faible pour sa bonne. Les auteurs racontent : "Un jour qu'il la lutinait, Madame Littré poussa la porte et s'écria " Ah, monsieur, je suis surprise !" Et le regretté Littré, se rajustant, lui répondit : "Non madame, vous êtes étonnée. C'est nous qui sommes surpris..."
L'ouvrage évoque aussi les pléonasmes et autres redondances.
Stendhal, dans le Rouge et le Noir : "C'est ce que je demande, s'écria-t-elle, en se levant debout."
Balzac dans Le Père Goriot : "Il regarda tristement son ouvrage d'un air triste, des larmes sortirent de ses yeux". L'écrivain aurait dû se relire avant d'envoyer le manuscrit chez l'imprimeur. Dans Une ténébreuse affaire, il écrit : "Le bruit du galop de son cheval, qui retentit sur le pavé de la pelouse, diminua rapidement."
Même conseil à Zola. Dans La débâcle, les horreurs décrites semblent avoir découragé l'habituelle rigueur de l'écrivain : "Puis, c'était un capitaine, le bras gauche arraché, le flanc droit percé jusqu'à la cuisse, étale sur le ventre, qui se traînait sur les coudes." On applaudit l'exploit...
Et Maupassant ! Est-ce la syphilis qui le grignotait doucement quand il écrit : "Je sortis et j'entrai dans une brasserie où j'absorbai deux tasses de café et quatre ou cinq petits vers pour me donner du courage. (La Patronne, dans la revue La Lanterne en 1889).
Apollinaire et son fameux Pont Mirabeau, qui contient aussi une faute d'accord, et une belle, encore :
"Sous le pont Mirabeau coule la Seine
Et nos amours,
Faut-il qu'il m'en souvienne
La joie venait toujours après la peine"
On parcourt ce livre avec le sourire, mais aussi traversé par toute une gamme d'émotions. Comment rester de marbre à la lecture de cette lettre de Rimbaud à Verlaine. Les fautes d'accord traduisent ici l'affolement du cœur :
"Reviens, reviens cher ami, seul ami, reviens. Je te jure que je serai bon. (...) Tu n'as qu'à refaire le voyage. Nous revivrons ici bien courageusement, patiemment. Ah ! Je t'en supplie (...)
Oh tu ne m'oubliera pas, dis ?
Non tu ne peux pas m'oublier. Moi je t'ai toujours là.
Dis, répons à ton ami, est-ce que nous ne devons plus vivre ensemble. Sois courageux. (...)
A toi toute la vie
Rimbaud
Enfin, histoire de pimenter la chose, les auteurs des Plus jolies fautes de français de nos grands écrivains ont même laissé une "célèbre faute à retrouver dans leur texte". L'auteur de cet article, fameux cancre, ne l'a toujours pas trouvée.
Honte à moi ?