Loôkoti, un duo de musiciens surdoués

Longtemps cantonnés au rôle d’excellents musiciens, Carlos Gbaguidi et Philippe Monange ont décidé de jouer les premiers rôles, en créant le groupe Loôkoti, dont le premier album éponyme vient de paraître. Ils seront en concert ce vendredi 09 novembre au Centre Wallonie-Bruxelles à Paris.
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Philippe Monange et Carlos Gbaguidi du groupe "Loôkoti".
© D. R.
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C’est un duo. Des surdoués. L’un, le Français Philippe Monange, excelle au piano, tandis que l’autre, le Béninois Carlos Gbaguidi est un percussionniste hors-pair. Les deux hommes se rencontrent il y a six ans, à l’occasion d’un événement musical auquel ils étaient tous les deux conviés.

Très vite, ils s’apprécient, et conviennent d’unir leurs talents, un jour. S’engage alors un processus de maturation qui dure trois ans. Enfin décidés à passer des paroles aux sons, ou plutôt, à accoucher des sons et des paroles qu’ils ont chevillés au corps, ils forment un duo qu'ils baptisent Loôkoti. 

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« Loôkoti » est un néologisme forgé par Carlos Gbaguidi, et constitué de deux mots fon – l’une des principales langues parlées au Bénin – qui désignent l’iroko, un arbre majestueux des forêts africaines, symbole de fécondité dans certaines régions du continent. « Dans certaine pays d'Afrique, souligne Carlos Gbaguidi, l'arbre est aussi l'endroit où l'on chante, dans, en somme, le lieu où l'on fait la fête. C'est un peu ça l'esprit de Loôkoti.»

Un titres rendant hommage à feu Fela Anikulapo Kuti

Artistes émérites au parcours riche et ô combien varié, Philippe Monange et Carlos Gbaguidi font une musique qui leur ressemble ; une fusion de toutes leurs influences qui vont de la musique classique aux musiques africaines, en passant par le rock, la soul, la funk…

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Après trois ans de travail acharné, ils publient leur premier album intitulé Loôkoti. Un album qui comporte dix titres dont un en hommage à feu Fela Anikulapo Kuti, fondateur de l’afrobeat – un groove unique, synthèse géniale entre Afrique et Occident - , et surtout  immense artiste engagé, pourfendeur des dictatures militaires de l’époque au Nigeria, de la corruption et des inégalités sociales. 

Et cet hommage, c’est à Philippe Monange qu’on le doit. A travers cette composition, il rappelle la mémoire de Féla, tout en revendiquant pour son complice et lui, une sorte de filiation. « Féla symbolise justement la fusion, souligne-t-il. C’est ce que nous voulons faires avec Loôkoti. » 

A chaque fois que je suis retourné à Yaoundé avec le grand bassiste et producteur camerounais Aladji Touré, il me disait : tu n'es pas comme les autres Blancs. On a l'impression que tu es chez toi.

Philippe Monange

Issu d’une famille plutôt aisée, Philippe Monange a tout juste trois mois lorsque ses parents débarquent à Yaoundé, au Cameroun, en 1963. Il y vivra jusqu’à l’âge de sept ans. « A chaque fois que je suis retourné à Yaoundé avec le grand bassiste et producteur camerounais Aldji Touré, se souvient-il, non sans émotion, il me disait : tu n'es pas comme les autres Blancs. On a l'impression que tu es chez toi.»

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Le pianiste français Philippe Monange
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Très tôt, il se passionne pour la musique classique et le jazz, qu’il écoute à la radio. Avec le soutien de ses parents, il entreprend un cursus supérieur de piano classique au conservatoire de Clermont-Ferrand, puis les classes de piano jazz du conservatoire de Lyon, et enfin le CIM de Paris.

Un surdoué au parcours classique et un autodidacte de génie

Le contact avec la vie parisienne lui permet de jouer dans des clubs réputés tels que le Sunset et le Duc des Lombards. Puis, c’est le départ pour New York. Un voyage qu’il juge initiatique avec le recul, car il retrouvait le berceau du jazz, cette musique qu’il affectionne tout particulièrement.

De toutes les rencontres qu’il a faites aux Etats-Unis, l’une d’elles l’a particulièrement marquée : celle avec le pianiste Ronnie Mattwews, compagnon de route du légendaire pianiste de jazz Thelonious Monk. Ce dernier lui transmettra un peu de la mémoire et de l’esprit des légendes qu’il a côtoyées. Un héritage qu’il juge précieux aujourd’hui.

Carlos Gbaguidi
Le percussionniste béninois Carlos Gbaguidi
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Quant à Carlos Gbaguidi, il naît en 1972, à Abidjan, de parents béninois expatriés en Côte d’Ivoire. Il a tout juste douze ans lorsqu’il perd sa mère, et que son père décide de ramener toute la famille à Cotonou, au Bénin. Mais très tôt, il s’intéresse à la musique, car son père lui demandait toujours de mettre les vinyles sur la platine familiale.

Une passion qu’il ne vivra qu’après le décès prématuré de son père, en 1994. A l’époque, pour subvenir à ses besoins, il multiplie les petits boulots, tout en jouant des percussions, au gré de ses rencontres avec les musiciens locaux. Un jour, il est remarqué par le guitariste Loïck Martin, qui dirigeait alors un cabaret à Cotonou, et qui va lui mettre le pied à l’étrier. 

Désormais, ils jouent et composent aussi en leur nom

Batteur autodidacte surdoué, Carlos Gbaguidi apprend en observant ses idoles d’alors. Et en 1993, l’un d’entre-eux, Eleuthere Gabin Gerard Assouramou  lui demande de le remplacer pour un concert de Papa Wemba, à Lomé, au Togo. Il impressionne par son talent, et se fond dans le collectif « Viva la Musica », le groupe fondé par l’immense Papa Wemba.

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Un an plus tard, ce dernier lui demande de constituer le groupe qui allait l’accompagner pour un concert à Cotonou. En 1995, Carlos Gbaguidi accompagne une nouvelle fois Papa Wemba à Abidjan, en Côte d’Ivoire.

C’est le début de sa carrière de musicien professionnel. Avec la crise politique de 2002, Carlos quitte la Côte d’Ivoire et rejoint la France, où il intègre le CIM de Paris. Dès lors, comme Philippe Monange, il joue avec les plus grands – Hugh Masekela, Toure Kunda, Youssou N’Dour, Rido Bayonne…  

Désormais, ils jouent et composent aussi en leur nom, avec humilité, mais non sans ambition, celle de ravir les mélomanes, tout en leur faisant partager leur amour pour l’Autre, leur humanité.