Malgré la répression, le cinéma iranien existe et se porte bien

Ce samedi 12 mai est projeté au 71ème Festival de Cannes le film Trois visages de l'Iranien Jafar Panahi. Le réalisateur ne sera pas là pour le défendre, empêché de quitter son pays après avoir été condamné pour proapagande anti-régime. Mais malgré la répression, le cinéma iranien parvient à s'exprimer hors des frontières du pays 
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Jafar Panahi n'a pu recevoir son Ours d'or à la Berlinale 2015, condamné à rester en Iran
Jafar Panahi n'a pu recevoir son Ours d'or à la Berlinale 2015, condamné à rester en Iran
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Avec Taxi Téhéran, Jafar Panahi avait réussi, en 2015, à mêler l’aspect parfois étouffant du huis clos au sentiment de liberté que peut offrir un road movie. Au volant d’un taxi, le réalisateur embarquait tout au long de ses 82 minutes de film divers personnages dans les rues de la capitale iranienne. Sans caméraman, avec juste trois petites caméras embarquées, fixées au véhicule, Panahi réalisait un exploit technique et prenait de grands risques quand l’on sait qu’à cette époque le réalisateur iranien était déjà sous le coup d’une condamnation lui interdisant de quitter le pays mais surtout de réaliser quoi que ce soit ! Et pourtant le film a pu quitter le pays, être diffusé dans tout bon cinéma qui se respecte et a même reçu l’Ours d’or à la Berlinale 2015.
 
Affiche du film Taxi Téhéran
Taxi Téhéran : malgréune interdiction de sortir de son pays, jafar Panahi nous livre un road-movie plein de libertés.
Car voilà, Panahi est un orfèvre et sait faire du grand cinéma avec peu de moyens et d’espaces (un taxi dans n'importe quel pays ne doit pas représenter beaucoup de mètres carrés), tout en insufflant dans ses œuvres cette liberté qu’on lui a retirée ! 

Un road-movie par un réalisateur condamné

Cette année, pour la première fois, un film de Jafar Panahi est en compétition officielle à Cannes (projeté  ce samedi 12 mai). Mais son assignation à rester à l'intérieur des frontières iraniennes, lui empêchera de venir défendre Trois Visages, dont on sait peu de choses avant la projection si ce n’est qu’il parlerait de trois femmes dans un road movie (tiens, tiens). 
Affiche du film Trois Visages
Pour la première fois, un film de Jafar Panahi concourt  dans la sélection officielle du Festival de Cannes.


La direction du plus grand festival de cinéma au monde a beau avoir demandé aux autorités iraniennes une faveur pour le réalisateur, Jafar Panahi ne pourra toujours pas sortir de son pays. 
Il faut dire que si le cinéma iranien est «vivant et dynamique » comme l’affirme Panahi dans une lettre ouverte saluant la sélection à Cannes de son film et de celui de son compatriote Asghar Farhadi (Everybody Knows), il est aussi très contrôlé par le régime, « ceux qui, selon le réalisateur, veulent la mort du cinéma indépendant iranien et qui sont prêts à toutes les menaces ».

Si Panahi a été emprisonné en 2010 puis condamné en 2011 à 6 ans de prison (peine commuée en une interdiction de voyager hors d’Iran et de s’exprimer dans les médias), c’est officiellement parce qu’il était en train de préparer un film, en 2009, sur le mouvement de protestation contre la réélection de l'ultraconservateur Mahmoud Ahmadinejad à la présidence de l’Iran. 
Mais le fait qu’à sa condamnation soit assortie une interdiction de réaliser pendant 20 ans prouve que c’est aussi son cinéma dans son ensemble qui dérange les autorités iraniennes. Et que Panahi soit l’un des plus grands du moment n’y change rien. 
 

La Nouvelle Vague iranienne saluée dans le monde entier


Pourtant le 7ème art a une longue histoire avec l’Iran. Implanté dès 1900 quand le pays était encore la Perse, le cinématographe a su se faire une place importante auprès du public. Quant à celui produit en Iran, il a su convaincre la critique internationale.  Avant la Révolution de 1979, le cinéma présenté en Iran était multiple. Des productions locales mais aussi indiennes ou turques... Surtout des comédies, des romances. Puis est arrivée à la fin des années 70’ la Nouvelle Vague iranienne dont Abbas Kariastomi est le représentant le plus connu. Mais déjà, avant même la Révolution, la censure iranienne sévit. Si elle n’interdit pas forcément les films, elle impose par exemple un titre détournant l’objet du film : Le Sud de la ville, de Farrokh Ghaffari qui dénonce en 1958 les conditions de vie d'habitants de bidonvilles de  Téhéran ne sera autorisé à sortir que cinq années plus tard sous le titre Rivalité dans la ville. Quant aux comédies étrangères qui pouvaient choquer les bonnes mœurs iraniennes, des doublages modifiant allégrement les dialogues originaux permettaient de les édulcorer. Dans ce contexte, les films populaires le restent pour les spectateurs iraniens mais la Nouvelle Vague locale, elle, ne trouve pas son public. 

La Révolution de 1979 marque un tournant dans l'histoire du cinéma iranien : des centaines de salles sont incendiées, certains réalisateurs préfèrent fuir le pays pour pouvoir continuer à exercer... Le régime islamique qui prend alors les commandes du pays impose une censure encore plus dure. La Nouvelle Vague, si elle est étonamment soutenue par le nouveau régime, ne séduit toujours par les Iraniens et ira chercher à l'étranger la reconnaissance qu'elle mérite. Plusieurs des œuvres s’en revendiquant sont récompensées dans de nombreux festivals : une 3ème place pour Capitaine Soleil de Dariush Mehrjui à Locarno en 1988; Une Coquille d’or pour Sara de Dariush Mehrjui au festival de San Sebastian en 1993, la Caméra d'or pour le Ballon Blanc de Jafar Panahi à Cannes en 1995 ou, Graal parmi les Graal, la Palme d’or pour Le Goût de la Cerise d’Abbas Kiarostami à Cannes en 1997. Kiarostami qui recevera également le Prix spécial du Jury pour Le vent nous emportera à la Mostra de Venise, en 1999, un an avant que ne soit décerné au Cercle de Panahi le Lion d'or à la même Mostra .

Ainsi le cinéma d'Art et d'Essai iranien séduit-il à l'étranger. A domicile, il ennuie même s'il s'adapte à l'idéologie du moment, tout comme le cinéma populaire, en bannissant l’amour et les femmes et laissant alors une place de choix aux histoires avec enfants, aux films de propagande (notamment durant la guerre Iran-Irak) ou à ceux permettant d’islamiser les masses ou de combattre l'occidentalisation (plus pour les films populaires que ceux de la Nouvelle Vague locale).

Deux cinémas iraniens

Il y aurait donc ainsi deux cinémas iraniens : celui de l’intérieur du pays, populaire, propre et celui de l’extérieur, qui dénonce, donne à penser. 
Le premier a trouvé sa place sur les nombreux écrans que propose le pays : 444 en 2011 selon l'UNESCO, dans un nombre de salles (345 en 2011) qui aurait doublé entre 2007 et 2011

Le second a su lui se faire respecter des plus grands du monde du cinéma. Par sa qualité -Asghar Farhadi, plusieurs fois primé avec Le client ou Une séparation-, par son audace –Les chats persans, de Bahman Ghobadi, dénonçant la répression iranienne, tourné sans autorisation et succès international- et par ce qu’il dit même quand on tente de le museler. 
Jafar Panahi serait ainsi le super héros de ce cinéma d’auteur/fauteur de trouble, lui qui a tourné un film avec son téléphone portable (Ceci n’est pas un film, 2011) alors qu’il attendait que soit prononcée sa condamnation pour propagande anti régime -le film a pu sortir d’Iran grâce à une clé USB cachée dans un gâteau-; lui qui symbolisait la dépression et l'enfermement derrière les rideaux toujours clos d'une maison en bord de mer (Pardé, Ours d'argent du meilleur scénario à La Berlinale 2013) ou lui qui a su montrer au monde sa vision de la société iranienne sans là non plus en avoir le droit (Taxi Téhéran).  

Rien que pour cela, il faudrait, pour lui, que soient créée la Palme d’or du mérite. Voire celle du génie. Et aussi expliquer au régime iranien que malgré sa répression, les messages des artistes peuvent inonder le monde. D’autant qu’en empêchant ses auteurs de s’exprimer librement, il leur offre finalement un porte-voix aussi stimulant pour les cinéphiles internationaux que contre-productif pour les pisse-froid locaux.