Yambo Ouologuem s'est éteint à 77 ans. Son inhumation s'est déroulée à Sévaré, au coeur du Mali, où il s'était retiré près des siens, pendant des décennies, en dehors du monde. Seule sa mort le sort de cet exil intérieur. Le ministre de la Culture du Mali a fait le déplacement dans cette région du centre, en pays dogon. Le président Ibrahim Boubacar Keïta lui rend aussi hommage et observe une minute de silence.
"Le Mali perd l'un de ses fils les plus illustres", dit-il. Un paradoxe pour un homme qui a vécu dans l'oubli. L'histoire de sa vie est une tragédie, celle d'un destin d'écrivain brisé par une blessure mortelle.
Yambo Ouologuem vu par Amadou Bah, libraire à Bamako
En 1968, il a à peine 28 ans quand il reçoit le Prix Renaudot, l'un des plus prestigieux de la littérature française, pour son livre "Le devoir de violence". Un Africain couronné, c'est inédit. Mais derrière le récit d'un royaume africain imaginaire sous l'invasion coloniale arabe se cache une charge contre les nouvelles élites africaines. L'année suivante, il publie un pamphlet, "Lettre à la France nègre". A l'heure de la négritude, lui parle de la négraille. Un blasphème pour ses détracteurs qui le classent en traître.
L'écrivain iconoclaste goûte aussi à la littérature érotique et donne naissance aux "Milles et unes Bibles du sexe" et à deux autres romans. Au total, une oeuvre réduite à deux années de production. Car l'écrivain va être crucifié par un procès pour plagiat. Il y a entre autres Du Graham Greene dans "C'est un champ de bataille", Laffont 1953 ou du André Schwarz-Bart dans "Le dernier des justes, Le Seuil, 1959. Yambo Ouologuem n'a jamais caché ses nombreux emprunts qu'il renouvelle et qu'il théorise. Mais rien n'y fait. Il est perdu, et personne pour le sauver. L'écrivain Yambo Ouologuem est mis à mort. Il ne reste qu'un homme brisé qui choisit une autre vie.
Yambo Ouologuem se tourne vers la piété musulmane, dans son village natal. Entouré de sa famille, il fait une croix sur son passé. Il ne veut plus entendre parler de littérature, et tout ce qui peut le lui rappeler. Exemple : le récit de l'un de ses admirateurs venu de France en 2013 pour tenter de le rencontrer mais qui bute à quelques mètres du portail de sa maison.
#Ouologuem Réfugié chez lui vers70,lynché pour plagiat,haï des Negritudeux de tout poil,détruit au silence. Suis a Mopti pour le rencontrer.
— Joël Bertrand (@joelbertrand51) December 8, 2013
Le maître Ouologuem ne supporte aucun élève. Ce qui alimente un peu plus son mythe. Car ses écrits restent, sont lus et étudiés dans des cercles restreints, comme dans cette publication de l'Ecole Normale Supérieure dont il est lui-même issu, à Saint-Cloud.
Yambo Ouologuem vu par Mamadou Bani Diallo, professeur de lettres et critique littéraire
Certains reconnaissent en lui un écrivain de génie. Plusieurs initiatives vont tenter d'œuvrer à sa réhabilitation, notamment sa propre famille. Dans une lettre ouverte, un écrivain togolais en appelle même au ministre de la Culture du Mali.
Dans les années 2000, les oeuvres "Le devoir de violence" et "Lettre à la France nègre" devenues introuvables sont enfin rééditées par Le Serpent à plumes. Bien plus tard, en 2015, l'éditeur Jean PIerre Orban réédite "les Mille et une bibles du sexe".
Mais un obstacle se pose à la réhabilitation : Yambo Ouologuem en personne. Un épisode inouï illustre cette situation. En 2005, lors d'une cérémonie d'hommage à Sévaré par le Festival "Etonnants voyageurs" qui lui est consacré, il fait une apparition fracassante rapportée par le site Maliactu.net.
Cet épisode entretient un plus la légende voire le mythe Yambo Ouologuem. Aujourd'hui disparu, sa réhabilitation demeure inachevée. Etudié à l'université, il est introuvable en librairie au Mali. Sa deuxième mort lui donne enfin l'occasion d'entamer une nouvelle vie.
Yambo Ouologuem vu par Sekou Fofana, directeur de la maison d'édition Donniya et secrétaire général de l'association des éditeurs Maliens