Il avait brossé le portrait d'une jeunesse africaine pleine d'effervescence. Le grand photographe malien est décédé ce jeudi 14 avril à l'âge de 80 ans.
C’est un grand photographe malien, multiprimé, qui est mort ce jeudi 14 avril à 80 ans des suites d’un cancer. Depuis les années 1960, Malick Sidibé n’avait jamais cessé de poser son regard sur la jeunesse africaine, capturant son image en noir et blanc dans son studio et ailleurs avec son appareil Rolleiflex.
Lui-même avait été influencé par un autre maître de la photographie populaire africaine : son compatriote
Seydou Keita, dont une rétrospective est actuellement proposée à Paris.
Le dessin avant la photo
«
Avant même l'appareil, j'étais déjà dans l'image », raconte-il à nos confrères de
Libération en novembre 2001. Né en 1935 à Soloba, près de la frontière guinéenne, Malick Sidibé grandit au sein d’une famille paysanne. Dès l’âge de 5 ou 6 ans, il s’occupe des moutons et des vaches de son père.
«
Nous ne connaissions rien du monde extérieur. Nous vivions comme enfermés dans une capsule », confie-t-il dans une interview pour le centre d’art breton
Gwinzegal.
Vers l’âge de 10 ans, son père le choisit parmi la fratrie pour l’envoyer à «
l’école des Blancs ». C’est là qu’il se met à dessiner avec talent. Sans technique, il «
imite la nature », ses animaux et les hommes qui la peuplent.
Il affûte ainsi son regard et son sens de l’observation. Grâce à ses qualités de dessinateur, il entre à l’Ecole des Artisans soudanais. C’est tout d’abord à la bijouterie qu’il se forme avant de rencontrer, en 1956, le Français Gérard Guillat dit « Gégé la pellicule », dans son magasin et studio.
«
J'étais derrière la caisse, je livrais des impressions, ce genre de choses, relate Sidibé au
Guardian en 2010.
Il ne m'a pas appris à prendre des photos, mais je regardais et j’apprenais. Rapidement, alors qu’il faisait les grands événements coloniaux, les bals et les dîners officiels, je faisais les Africains. Je couvrais les mariages et les baptêmes, puis, parce que j’étais jeune et que j'avais une petite caméra, j’ai été invité dans les danses.»
Photographie de la jeunesse africaine
Dès lors, Malick Sidibé troque le crayon pour la pellicule. En 1962, il ouvre son propre studio de photo dans le quartier de Bagadadji à Bamako. Comme l’autre maître malien de la photographie Seydou Keita, le jeune Malick Sidibé perpétue la tradition du portrait en studio, mis en scène.
«
Seydou, c’était la grande classe des fonctionnaires, avec des hommes richement habillés qui couvraient leur dame de chaînes en or. Moi, c’était la classe moyenne ; on pouvait même poser avec un mouton », confie-il dans une interview au journal
Le Monde. Mais Malick Sidibé sort aussi de son studio.
Il devient le portraitiste de toute une jeunesse africaine insouciante, branchée, éprise de twist et de rock, des musiques cubaines, qui se déhanche dans les fêtes bamakoises où se rend Sidibé.
Le jeune photographe met en lumière une génération éprise de changement, vivant dans une jeune nation – ancienne colonie française - indépendante depuis 1960. «
Une période fantastique, unique », dira des années plus tard le photographe.
«
Son œuvre témoigne de toute cette joie, de tout ce bonheur, de toute cette liberté » de l'époque, explique sur le plateau de TV5MONDE, André Magnin, ami de Malick Sidibé et spécialiste de l’art africain contemporain.
«
Malick Sidibé, Seydou Keita, Mama Casset et tous ces photographes m’ont inspiré, témoigne le photographe Sénégalais Omar Victor Diop, héritier de ces maîtres du portrait.
Ils ont documenté la jeunesse de la génération de mes parents. Mais Malick en particulier, avait cet intérêt pour une jeunesse avant-gardiste, festive et active. Les jeunes qui venaient se faire photographier chez lui débutaient leur carrière. »
Omar Victor Diop représente la nouvelle génération de la photo africaine. Il s'inscrit dans une démarche de continuité plus que de réinvention du travail de ces/maîtres : «
J’ai toujours été un grand admirateur de son travail pour la dimension artistique, mais aussi pour la qualité documentaire de son portfolio qui raconte finalement ce que c’était qu’être un jeune africain au moment où les nations africaines telles que le Mali se déterminaient, et au moment où, les jeunesses africaines se positionnaient par rapport à celles du monde, notamment par la culture, les scènes nocturnes, la musique, la mode… C’est une grosse perte pour la photo et la communauté artistique mondiale. »
Malick Sidibé, photographe primé
En 2003, il est le premier Africain à recevoir le prix de la photographie Hasselblad. Quatre ans plus tard, la Biennale d’art contemporain de Venise l’honore d’un « Lion d’or » pour toute sa carrière.
«
Au début, je ne croyais pas tellement à mon talent, racontait-il à
Libération en 2001.
La photographie africaine était admirée en Europe, les vendeurs nous ont flattés, ils ont mis du sel, c'est devenu un marché. Au fur et à mesure, je me suis rendu compte que c'était sincère, que mes images intéressaient les autres. J'ai bien fait mon travail, ma satisfaction était le plaisir du client, voilà ce que je peux dire aujourd'hui. »