Né dans une famille française manouche, Raymond Gurême voit sa vie et celle de ses parents basculer alors qu'il n'est qu'un adolescent. A 93 ans aujourd'hui, il se souvient de ce jour comme si c'était hier.
Ce soir-là, son père avait invité du monde à se réfugier sous le chapiteau du cirque familial pour regarder un film. Raymond Gurême est né dans une famille de forains, dans un cirque ambulant. Au matin du 4 octobre 1940, la famille est brusquement réveillée : "A 6h du matin les gendarmes français sont venus, ils ont tapé aux portes des caravanes. Ils ont dit à mon père vous allez nous suivre ! "
Direction Darnetal, près de Rouen, où sa famille et d'autres gens du voyage sont confinés dans une usine désaffecté. Plus tard, ils sont transférés dans le camp de Linas-Montlhéry, dans le département de l’Essonne. Raymond se souvient du froid, de la faim, des privations. "Le pire souvenir, c'est de voir les petits gosses qui mourraient et les vieilles personnes. Il fallait sortir des baraques nus-pieds, dans la neige. On n' a jamais été ravitaillé en affaires, en habits, ou en souliers. Il n'y avait pas d'hygiène, pas de docteur, on avait rien."
"Ce ne sont pas les Allemands qui nous ont arrêtés, ce sont les Français."
Raymond Gurême
En octobre 1940, l'administration allemande charge les préfets des zones occupés, d'organiser l'internement des nomades. Plus de 6500 personnes seront enfermées par les autorités françaises en zone occupée, mais aussi en zone libre. Une sombre page de l'histoire de France que cette exposition met en lumière. "C'est gravé, c'est pour la vie... Ce qui fait plaisir, c'est qu'on parle de nous maintenant avant on ne parlait pas de nous."
Il s'est évadé deux fois et a rejoint la résistance. Son combat a été aussi de parler, de témoigner des souffrances endurées par sa communauté. L'internement de ces personnes que la France désignait comme "nomades" se poursuit bien après la fin de la guerre. Le dernier camp français fermera en 1946. Aucune aide, aucune indemnisation à la sortie des camps.
En octobre 2016, dans un discours sur le site du camp de Montreuil-Bellay dans le département de Maine-et-Loire, le président François Hollande admettra enfin la responsabilité de la République française. Depuis plusieurs années, Raymond Gurême a installé sa caravane en face du terrain qui abritait le camp de Linas-Monthléry. Lui et sa famille ont dû mener d'autres combats, contre la méfiance notamment à l'égard des siens, qui continue de persister.