L’Année du Mexique en France a de quoi faire rosir de plaisir les amateurs d’arts plastiques qui séjournent à Paris. La période 1900-1950 exposée au Grand Palais, est de celles où l’inspiration colle parfaitement à l’histoire d’un pays, d’une révolution. L’émancipation des créateurs confine ici à l’originalité absolue.
Diego Rivera, Frida Kahlo, José Clemente Orozco, sont parmi les peintres mexicains les plus connus à l’international. Ils rayonnent depuis quelques jours aux cimaises du
Grand Palais. Au total, ce sont quelque 70 artistes qui se donnent à découvrir, peintres, photographes, cinéastes, sculpteurs tous passionnants, réunis sous la houlette d’Agustin Arteaga, le commissaire de l’exposition « Mexique 1900-1950 », figure marquante de l’univers muséal dans son pays.
Donner à parcourir un demi siècle artistique, organiser le récit des inspirations, des rencontres, des engagements, des hybridations, des traces majeures laissées par les plus grands : voilà qui donne à une exposition tout son sens. Et aux visiteurs le bonheur de marcher dans les pas d’une équipe de talent, de découvrir au fil des salles l’ «
incroyable singularité » et la puissance d’artistes en prise directe avec leur temps.
A la peinture nationaliste née en 1810, alors que le pays se libérait du joug colonial de l’Espagne, a succédé l’art académique et naturaliste, qui ouvre l’exposition parisienne, et accompagne la restauration de la République en 1867. Ses compositions mettent en scène des familles aisées dans des paysages bucoliques ou des scènes marquant les origines indiennes de la population modeste, après que les «
Etats-Unis du Mexique » ont été amputés, au fil des décennies, de millions de kilomètres carrés qui constituaient son territoire. «
Evaporés », le Texas, la Californie, l’Arizona, le Nevada notamment.
L’engagement de la plupart des créateurs va coller de près à la révolution mexicaine des années 1910-1920. Par conviction et parce que les moyens leur ont été donnés par les pouvoirs publics de s’exprimer sur les murs des grands bâtiments officiels. Mexico se couvre de fresques monumentales grâce au ministre de l’Instruction publique José Vasconcelos. Les peintres touchaient des salaires comparables à ceux des ouvriers, mais ils pouvaient intervenir sur des lieux extraordinaires et sans aucune censure rappelle Agustin Arteaga dans le hors série des Beaux Arts consacré à l’exposition.
Diego Rivera, figure de proue de l’avant-garde mexicaine et David Alfaro Siqueiros, surnommé «
le colonel », convaincu que le rôle de l’artiste est de donner à la lutte ouvrière un retentissement maximum auprès de la population, participent de l’art révolutionnaire. Tous deux s‘appuient sur la représentation des classes laborieuses pour figurer les bienfaits de l’éducation, de la réforme agraire, de la modernité industrielle. Ils se sont connus à Paris où ont aussi résidé des peintres comme Angel Zarraga et Roberto Montenegro. Ils y ont côtoyé avec bonheur les maitres du Fauvisme et du Cubisme. Puis ils ont été «
rapatriés » - avec leur consentement ! - pour participer à l’idéologie officielle, avec l’ambition de contribuer à projeter leurs compatriotes dans l’avenir, le progrès. Leur complicité totale avec le peuple fascinera d’ailleurs les historiens. La fierté nationale qu’ils incarnent participe de l’aura de leur pays sur la scène internationale. Les rebelles Pancho Villa et Emiliano Zapata étaient passés par là. Les grandes chevauchées héroïques, les mutineries, les trahisons, les assassinats qui inspirèrent des films devenus depuis de grands classiques
(1), mais aussi les refontes constitutionnelles, les réformes sociales (contre le travail des enfants, pour le droit de grève, etc) avaient infusé . Sans oublier les combats au nom de la laïcité qui connaîtront leur apogée en 1926-1929 avec la «
guerre des cristeros » et ses dizaines de milliers de morts.
Certes le Grand Palais n’a pas pu déplacer les œuvres représentatives du fameux «
Muralisme » et il faut visiter le Palacio Nacional de Mexico, l’université, l’Hospice Cabanas de Guadalajara et le Palais Cortes de Cuernavaca notamment pour admirer les fresques colorées qui y déploient des scènes puissamment utopistes et tout à la fois résolument figuratives, signées des peintres les plus connus de leur époque dont «
los tres grandes ». Mais les très grandes toiles , les photographies, les sculptures qui sont rassemblées à Paris sidèrent par leur force, leur singularité, leur puissante émancipation, en définitive, à l’égard de toute forme d’influence.
Les femmes fortes
Si les femmes ne représentent que 20% des artistes accrochés aux cimaises, leur influence est mise en relief au travers d’une section de l’exposition dédiée aux «
femmes fortes », pour reprendre une terminologie biblique. Dans la tradition, toutes proportions gardées, des «
soldaderas » qu’on trouve dans les troupes révolutionnaires au Mexique comme plus tard à Cuba, les artistes femmes mexicaines ont participé à la reconstruction d’une société endeuillée par la mort de dizaines de milliers d’hommes victimes de la révolution ou exilés, et à la mise sur pied d’une politique d’éducation et de renaissance artistique. Soit en étant mécènes et en commandant des œuvres, comme Dolores Olmedo, éditrice et femme d’affaires dont la collection constitue aujourd’hui un musée tout entier. Soit en prenant les pinceaux. Dans cette catégorie citons Maria Izquierdo, grande féministe et belle voyageuse, qui suscita l’admiration d’Antonin Artaud.
La plus connue des «
femmes fortes », adulée encore aujourd’hui, était Frida Kahlo dont on peut notamment admirer ici l’intrigant double portrait datant de 1939. «
Les deux Frida » posent assises, main dans la main, reliées par leurs cœurs mis à nu, l’un déchiqueté à la veille de l’embrasement que va connaître l’Europe, l’autre intact, associé aux origines indiennes de l’artiste.
Impossible, à la lecture du catalogue ou des ouvrages parus en marge de l’exposition, d’échapper à l’histoire d’amour torride et complexe, traversée d’un même appétit militant, qui transparaît dans les influences réciproques que Frida Kahlo et son «
colosse » au sens propre et figuré Diego Rivera exerceront sur leurs parcours picturaux respectifs. Ils rédigeront tous deux, avec André Breton, le manifeste «
Pour l’art révolutionnaire ». Leur amour durera éternellement (c’est Diego qui coupera les veines de Frida, selon la tradition, pour confirmer sa mort !) avec une interruption célèbre : celle qui lia Frida à Trotski, débarqué au Mexique, avant d’y être assassiné en 1940.
Hybridation et fascination réciproque avec les surréalistes français
Il est question ici de l’immense célébrité que plusieurs créateurs mexicains connurent aux Etats-Unis, de l’influence qu’ils exerceront sur leurs homologues américains. Des expositions leur sont consacrées dès le début des années 20, dont au MoMA. Plus incroyable : des fresques leur sont commandées, dès la charnière des années 30 pour des édifices à New York, à Los Angeles et ailleurs en Californie, au New Hampshire. On connaît l’histoire de celle peinte par Rivera dans le hall du Rockfeller Center de New York, qui fut détruite lorsque son commanditaire y découvrit la présence non programmée de Lénine.
L’exposition permet par ailleurs de découvrir des artistes et des œuvres se présentant comme des alternatives aux discours idéologiques de l’époque, des masques hallucinants de Germán Cueto aux portraits énigmatiques de Robert Montenegro et aux abstractions de Gerardo Murillo « Dr. Atl » ou Ru no Tamayo.
Le tour d’horizon proposé fait écho au mouvement pluridisciplinaire original qu’est le Stridentisme, et il expose des artistes du groupe !30-30 !.
Entretemps des artistes européens ont fui les « temps sombres » de l’entre deux guerres, puis les rafles de la guerre civile espagnole et de la Seconde Guerre Mondiale. Le peintre français Jean Chabot, qui séjourna longtemps à Mexico et participa de près au Muralisme, y fait figure de pionnier. Ecrivains et personnages de romans, acteurs et photographes tel Cartier-Bresson viendront nombreux nourrir leur imagination dans ces terres de forêts vierges, de passions et d’idéal social.
C’est dans ces années aussi que sont arrivés au Mexique le cinéaste russe Eisenstein, le surréaliste André Breton et, peu avant, Antonin Artaud. Ce dernier, fasciné par le chamanisme, écrira en 1936 « La culture rationaliste de l’Europe a fait faillite et je suis venu sur la terre de Mexique chercher les base d’une culture magique qui peut encore jaillir des forces du sol indien ».
Parmi les signatures figurant aux cimaises du Grand Palais, citons enfin celles de Wolfgang Paalen (Le Génie de l’espèce 1938) et du constructiviste allemand Mathias Goeritz (Pyramides mexicaines 1959). Le temps est venu de laisser la place au Minimalisme et au Conceptuel. La dernière salle y est consacrée.
(1) On reverra avec délectation, en marge de l’exposition, « Que Viva Mexico ! » d’Eisenstein, « Los Olivados » de Luis Bunuel, et plusieurs documentaires, tandis que « Viva Zapata » d’Elia Kazan avec Marlon Brando, « Pancho Villa » de Buzz Kulik avec Yul Brynner, Robert Mitchum et Charles Bronson, sont accessibles en DVD.
Mexique 1900-1950, Diego Rivera, Frida Kahlo, José Clemente Orozco et les Avant-Gardes
Au Grand Palais à Paris, jusqu’au 23 janvier 2017.