Après 75 ans de carrière, il avait confié en 2019 à l'AFP qu'il ne remonterait plus sur scène, après avoir fait son "bonhomme de chemin". "Il faut beaucoup de force... pour parler avec des mots qui ne sont pas les siens, de rendre tout ça vrai".
"Je suis profondément triste. Michel Bouquet était un très grand acteur. Nous avons tourné plusieurs films dont Deux hommes dans la ville et Borsalino. La seule chose qui me reste, ce sont de grands et beaux souvenirs", a confié à l'AFP un autre monstre sacré, Alain Delon.
"Sept décennies durant, Michel Bouquet a porté le théâtre et le cinéma au plus haut degré d’incandescence et de vérité, montrant l'homme dans toutes ses contradictions, avec une intensité qui brûlait les planches et crevait l’écran. Un monstre sacré nous a quittés", a réagi le président Emmanuel Macron sur Twitter.
"Son intensité, sa passion pour les textes et les nuances infinies de son jeu ont fait de Michel Bouquet un acteur adoré des spectateurs, comme des artistes qui ont eu le bonheur de travailler avec lui", écrit la ministre de la Culture Roselyne Bachelot sur Twitter.
Son intensité, sa passion pour les textes et les nuances infinies de son jeu ont fait de Michel Bouquet un acteur adoré des spectateurs, comme des artistes qui ont eu le bonheur de travailler avec lui.
J’ai une pensée pour tous ceux qui comme moi, le rêvaient invincible.
Un géant de la scène, légendaire dans "L'Avare" et "Le roi se meurt", qui quelques années plus tôt espérait "ne jamais s'arrêter de jouer".
Il ne se lassait pas de ses rôles, brodant et rebrodant son interprétation, la voix mesurée enflant soudain à la surprise du public, épaté de l'énergie qu'il gardait en dépit de l'âge.
Prolifique, souvent énigmatique et troublant, le comédien avait reçu de très nombreuses récompenses, notamment deux fois le César du meilleur acteur : en 2002 pour le film d'Anne Fontaine "Comment j'ai tué mon père", puis en 2006 pour "Le Promeneur du Champs-de-Mars".
Au théâtre, il avait décroché deux fois le Molière du meilleur comédien dont en 2005 pour "Le roi se meurt", qu'il jouait avec son épouse Juliette Carré, formidable reine Marguerite.
Il a marqué le théâtre de l'après-guerre en faisant connaître en France l'oeuvre de Harold Pinter et en se mettant au service de grands textes classiques (Molière, Diderot ou Strindberg) et contemporains (Samuel Beckett, Eugène Ionesco, Albert Camus ou Thomas Bernhard).
Sa silhouette plutôt ronde, son style discret et sa voix grave, contredite par une certaine espièglerie du regard, lui offrait une large palette de rôles.
Il a martelé que l'acteur n'était qu'"au service" de l'auteur."Le texte, il n'y a que le texte. Tout vient de l'auteur. L'acteur n'est là que pour prendre la main du spectateur et lui faire serrer le coeur de l'auteur", disait-il. Ou encore: "Je suis amoureux de la pensée des autres, il n'est pas utile que l'acteur soit encombré de sa propre pensée".
Né le 6 novembre 1925 à Paris, fils d'un officier qu'il a peu connu car devenu prisonnier de guerre, Michel Bouquet a été envoyé avec ses frères en pension, une expérience qui l'a "terrorisé".
"À chaque fois que le rideau se levait, il n'y avait plus l'horreur de la guerre, il n'y avait plus les Allemands autour (...), le monde irréel dépassait de très loin le monde réel. Ça a été le meilleur enseignement de ma vie", confiait-il à l'AFP en 2019.
Tour à tour apprenti pâtissier, mécanicien dentiste, manutentionnaire durant sa jeunesse, il se rend un jour chez Maurice Escande, sociétaire de la Comédie-Française, qui lui proposa immédiatement de suivre ses cours.
Jouer était une nécessité intime plus qu'un plaisir. "C'est une angoisse affreuse", disait-il. "Mais c'est intéressant. Pour vivre quelque chose que l'on ne vivrait pas autrement. On ne risque rien, rien, sauf de se casser la figure".
Son premier souvenir de théâtre ? "C'était au Théâtre Chaillot, à 17 ans. J'étais dans un costume de Robespierre; j'avais le sentiment que c'était vrai, que J'ETAIS Robespierre", se souvenait-il pour l'AFP, évoquant "cette magie du costume qui fait qu'on est délivré de soi et on se connaît mieux soi-même".
Il deviendra compagnon de route du dramaturge Jean Anouilh puis du comédien Jean Vilar au Théâtre national populaire (TNP) et au Festival d'Avignon.
Intégrant le Conservatoire en même temps que Gérard Philipe, il montera sur les planches en 1944, deviendra vite compagnon de Jean Anouilh puis de Jean Vilar au TNP (Théâtre national populaire) et au Festival d'Avignon.
À partir de 1947, on le retrouve aussi au générique de nombreux films mais il devra attendre les années 1960 pour atteindre la notoriété.
Sa voix neutre et posée, son goût pour l’ambiguïté feront merveille dans les films de Claude Chabrol qui l'emploie dans des rôles de notables de province, secrets et dévoyés. Il noue avec ce metteur en scène une complicité durable et jouera dans plusieurs de ses films ("La femme infidèle", "Poulet au vinaigre").
Il joue aussi avec François Truffaut quelques-uns de ses meilleurs films ("La mariée était en noir", en 1967, et "La Sirène du Mississippi" en 1968).
Incarnant le peintre Auguste Renoir dans un film de Gilles Bourdos (2013), il affirme que c'est le rôle qui l'a le plus touché.
En 2019, à 93 ans, Michel Bouquet annonce qu'il ne remontera pas sur scène : il prend sa retraite après 75 ans de carrière. Sa dernière interprétation ? Un hommage à "un être parfait", dit-il sur France Culture en mars 2019 : Jean de La Fontaine. Il participe à l'enregistrement d'un audiolivre réalisé par Ulysse Di Grigorio, dans lequel il prête sa voix aux fables du génie du XVIIe siècle.
En 2020, il n'est plus sur scène, mais monte une pièce dans laquelle Maxime d'Aboville joue le jeune Michel : Je ne suis pas Michel Bouquet.
Michel Bouquet a marqué plusieurs générations de comédiens. Fabrice Luchini, lui remettant un Molière d'honneur en 2014, l'évoquait en ces termes :
"Un homme qui a compté énormément dans ma vie, qui est plus qu'un homme d'ailleurs : un événement. Un événement qui nous donne à réfléchir sur la place de l'intelligence face au génie de l'auteur. Celui qui s'est méfié de son intelligence pour la mettre au service de Molière."