Michel Houellebecq, génie littéraire ou « as du marketing » réactionnaire ?

Anéantir, le nouveau roman de Michel Houellebecq, sort en librairie ce vendredi 7 janvier 2022. Depuis le début du mois, il fait la une des médias. Et comme les précédents, le livre divise déjà. De sorties misogynes en romans à succès, l’un des romanciers les plus lus de France fait débat depuis vingt ans.
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Michel Houellebecq Avril 2019 Reuters
Michel Houellebecq en avril 2019 à Paris.
© Henri Szwarc/ABACAPRESS.COM
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Pas d’interview annoncée dans la presse, puis un entretien « exclusif » publié dans Le Monde. Un livre, aux allures d'un volume de la collection "La Pléiade", tiré à 300 000 exemplaires. Un ministre de l’Economie qui le juge nobélisable. La demande « solennelle » aux quelques 600 journalistes qui ont reçu une copie en avance de respecter l’embargo. Puis la une de Libération, une série d’articles sur « Houellebecq, miroir vrai de notre temps » dans Le Figaro, des critiques dithyrambiques par dizaines. 
 


Le moins que l’on puisse dire, c’est que Michel Houellebecq sait monopoliser l’attention pour la rentrée littéraire. 
Anéantir, le huitième roman de l’écrivain français publié le 7 janvier, confirme que la parution de chacune de ses œuvres génère un événement médiatique autant que littéraire. Il divise en effet les critiques depuis plus de vingt ans : certains lisent du talent pur dans le succès d’un des romanciers contemporains les plus lus et les plus controversés, d’autres une communication bien orchestrée, ou bien une œuvre qui flatte le camp réactionnaire français.

Anéantir Houellebecq
Dans ce long roman de plus de 700 pages, Michel Houellebecq imagine la France de 2027, entre politique déclinante, mort et crise conjugale. 
Capture d'écran AFP.

Des millions de livres vendus

Reynald Lahanque, professeur de littérature et auteur de plusieurs articles sur le style de Michel Houellebecq, l’affirme depuis son premier livre : c’est « un écrivain qui compte ». Il le voit comme un « excellent observateur du temps présent, qui a l’art de capter ce qui est dans l’air du temps, les nouvelles valeurs, les transformations des mœurs ».
Depuis son premier roman Extension du domaine de la lutte en 1994, cet avis est partagé par une bonne part de la critique littéraire et des lecteurs toujours nombreux. 
 
Selon sa maison d’éditio,n Flammarion, en 2019, l’auteur de best-sellers avait ainsi vendu plus de 5 millions de livres durant sa carrière. Plusieurs de ses romans ont dépassé les 500 000 exemplaires. Soumission, œuvre de politique-fiction qui prédit une France islamisée, avait atteint les 800 000 en 2015. Les traductions, en plus de 40 langues, battent aussi régulièrement des records de ventes. 
 
Houellebecq Soumission
L'anticipation imaginée dans Soumission est considérée comme islamophobe par celles et ceux qui s'opposent à Michel Houellebecq.
Capture d'écran AFP

Ceux qui l’apprécient saluent son regard cynique sur la modernité, son héritage dans la veine réaliste de Balzac à Zola, son « humour pince-sans-rire », ses provocations. Voire même ses prophéties, depuis le jour où la parution de Soumission a coïncidé avec l’attentat contre Charlie Hebdo.

« Une vision rance du monde »

Mais certains sont insensibles au « génie » prêté à l’écrivain, lauréat du prix Goncourt en 2010 pour La carte et le territoireDans les colonnes de Mediapart par exemple, Joseph Confavreux et Lise Wajeman attaquent « un roman en forme de manuel de réassurance pour vieux mâles blancs misogynes », « la célébration d’une littérature qui radote les mêmes choses de livre en livre », une « vision rance tendance pourrie du monde ». 
 
Selon eux, le succès de son œuvre illustre la diffusion croissante sur la scène politique et médiatique française de ses idées. Les débats sur les opinions réactionnaires de Michel Houellebecq, devinées entre ses lignes ou affirmées dans des entretiens, ont en effet émaillé sa carrière. 
 

Un exemple récent : en mai 2019, il participe à un débat sur l'Europe organisé par le magazine d’extrême-droite Valeurs Actuelles au Cirque d’Hiver à Paris, entre le candidat Éric Zemmour et le ministre Bruno Le Maire. Considère Donald Trump comme « l’un des meilleurs » présidents américains, les féministes comme « d’aimables connes » et l’islam comme « la religion la plus con ». Cette dernière sortie lui avait d’ailleurs valu un procès – gagné – pour injure raciale et incitation à la haine religieuse, en 2002. 

« C’est fini, cette époque ». Pour Ariane Chemin, Michel Houellebecq veut à présent « sortir de cette image provocante et marginale ». La journaliste du Monde qui avait mené une longue enquête sur l’univers de l’écrivain en 2015 trouve son dernier roman assagi, « doux » voire « optimiste ». Selon les premiers échos qu’il en a eu, Reynald Lahanque imagine aussi une œuvre « plus apaisée », où Houellebecq approfondit ses romans précédents. 

Houellebecq Goncourt
En 2010, Michel Houellebecq reçoit un prix Goncourt attendu pour La Carte et le territoire (Flammarion).
© Capture d'écran AFP

Un « as du marketing »

Tous ces débats et ces critiques participent à construire Michel Houellebecq en « personnage autant qu’en écrivain », pour reprendre les mots de la journaliste.
Passant de moments de « médiatisation très forte » à de « longues éclipses », comme les décrit Reynald Lahanque, il entretient le mystère. 
 

En commençant son enquête en 2015, Ariane Chemin s’était ainsi heurtée à un « secret-défense » entourant le romancier, qui avait averti son entourage de ne pas accepter de lui répondre. Selon elle, Michel Houellebecq méprise une bonne partie des journalistes, « pas au niveau » d’après lui, et joue avec les médias.
 
Son attitude, comme celle de son réseau éditorial, participe à attirer l’attention de la presse et de l’opinion publique. En plus de ses déclarations instigatrices de polémiques qui relancent souvent les ventes. Il en devient même un « as du marketing ». Et le côté inaccessible du personnage, entre provocation et conservatisme assumé, fera probablement une partie du succès d’Anéantir, comme de ses œuvres précédentes.

Michel Houellebecq en trois dates

28 février 1956, naissance à La Réunion
1994, premier roman, Extension du domaine de la lutte
2010, prix Goncourt pour La carte et le territoire