Mort de Pierre Etaix, cinéaste-clown et acrobate de l'imaginaire

Il était l'un des plus grands héritiers français de la tradition burlesque, le frère de Buster Keaton, de Harold Lloyd, de  Max Linder ou de Charlie Chaplin.  Pierre Etaix, artiste polyvalent et génial, est décédé ce vendredi à l'âge de 87 ans.
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Pierrre Etaix
Pierre Etaix, sur le plateau de TV5Monde
(capture écran)
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Pierre Etaix avait le sourire généreux et l' élégance des sentiments. Jamais il ne se serait permit d'embêter ou de gêner ses interlocuteurs avec ses problèmes. Cet amoureux du cirque, clown magnifique et contrarié,  vivait dans un trois pièces parisien à Montmartre, un ancien grenier à foin. "Pierre Etaix n'est plus", a indiqué sa femme Odile à l'AFP. L'artiste avait été hospitalisé en urgence ce matin. Il "se battait contre une infection des intestins" a-t-elle précisé.

Objectif clown

A l'âge de 4 ans - en 1932 -, son grand-père l' emmène au cirque, dans sa ville natale de Roanne. Le gamin, fils d'un négociant en cuirs, est subjugué. Il veut être clown. Il réussira le rêve de sa vie même si on lui fera sentir qu'il n'est pas un "enfant de la balle", un gamin du sérail. " Je n'ai pas eu la chance de naître dans ce milieu. Ce fut une calamité " dira-t-il.
Jamais le feu de cette blessure ne s'apaisera tout à fait. "Comme je voudrais être clown ! Puis soudain je pense que tout cela n'est presque pas possible, alors, je veux dormir bien vite, bien vite, pour étouffer cette tristesse. Et souvent, c'est presque en pleurant que je me laisse gagner par le sommeil. "

Jacques Tati, le déclencheur

Nouvel électrochoc émotionnel en 1953. Il voit au cinéma Les Vacances de M. Hulot et appelle son réalisateur, Jacques Tati, qui, séduit par la fougue du jeune homme, l'engage pour Mon oncle, son prochain film.  Gagman, assistant, il travaille d'arrache-pied et dessinera la fameuse

Mon oncle Pierre Etaix

affiche. Puis il rencontre  Nino Fabri, célèbre clown du cirque Medrano, dont il devient le partenaire.
C'est à cette époque qu'il invente son personnage de Yoyo, ce distrait lunaire, gaffeur et infiniment poétique. 
L'autre émotion majeure viendra du grand clown espagnol Charlie Rivel. Il confiera au journal Le Monde : "C'était un artiste incomparable, plus encore que Grock. Il apportait une émotion inouïe. J'ai eu la révélation le jour où je l'ai découvert à Medrano. On commençait à dire, à l'époque, qu'il fallait que les augustes s'affinent, et qu'ils se rapprochent du comédien, plutôt que d'arborer ces maquillages outranciers. Or Rivel avait un maquillage invraisemblable, qui avait une humanité incroyable. Son oeil à travers tout ce fard était quelque chose d'unique."
L'univers des clowns, décidément, est le sien."Ce qui est merveilleux dans la comédie clownesquec'est qu'elle part d'un fonds commun qui appartient à tout le monde, et chacun en fait ce qu'il veut, en fonction de sa nature propre. On ne joue pas un rôle, on est soi-même. François Fratellini disait justement : "Les acteurs font semblant, nous, c'est pour de vrai."

 

Pierre Etaix et les casseurs d'enthousiasme

Au cours des années 1960 Pierre Etaix  trouve un nouveau complice, Jean-Claude Carrière, avec lequel il réalisera courts et longs-métrages  : Le Soupirant, Yoyo, Tant qu'on a la santé, Le Grand Amour et Pays de cocagne... De purs chefs-d'oeuvre du cinéma. Son sens de l'observation sociale infusé de burlesque fait merveille. Avec Heureux anniversaire, écrit et réalisé avec Jean-Claude Carrière, il remportera l'Oscar du meilleur court-métrage en 1963. Mais un imbroglio juridique rendra invisible ces films-joyaux pendant une vingtaine d'années. Au terme d'un procès qu'il finira par gagner, Pierre Etaix aura le plaisir de superviser 

 la restauration des images et des sons de chaque film.

 
L'affaire, outre qu'elle provoquera quelques frictions avec Jean-Claude Carrière, laissera un frisson d'amertume chez le réalisateur :  "Etre comique, c'est suspect ! Nous représentons un art mineur, méprisé ! Lorsqu'il s'agit de tourner un film dramatique, ou un film d'action, on déploie des moyens exceptionnels, on trouve normal de mobiliser des gens de qualité, des spécialistes des effets spéciaux, des cascadeurs... Lorsqu'il s'agit d'un film comique, c'est toujours trop cher, c'est de la folie ! On ne rencontre que des casseurs d'enthousiasme !"

Annie et l'école du cirque


Le formidable autodidacte s'amuse de l'étonnement des gens qui lui font remarquer ses multiples dons ( acteur, réalisateur, affichiste etc.) " J'ai toujours eu envie d'aller vers des choses qui m'attiraient.  En France, on a tendance à tout compartimenter. C'est une chose qui m'ennuie beaucoup. Moi je dis qu'au contraire, tout correspond à une chose fondamentale. " Et c'est avec cet état d'esprit qu'il fonde avec son épouse d'alors, Annie Fratellini,  l'Ecole nationale du cirque, en 1974 " pour permettre à des gens comme moi d'avoir accès à ce
Pierre Etaix
Pierre Etaix, cinéaste clown
(capture d'écran)
métier ". L'amour du cirque, encore et toujours....
La remise sur le marché de ses films, en salle et en DVD,  lui permettra, à la fin de sa vie, de connaitre un sursaut de popularité. Et, pour faire plaisir à sa nouvelle femme, Odile Etaix, ll remontera même sur scène une dernière fois. Ce sera Miousik Papillon,  au Théâtre Vidy à Lausanne. Le spectacle se joua pendant 7 jours à guichet fermé puis partira sur les routes de France.
Le cinéaste clown est allé retrouver ses maîtres : Buster Keaton,  Harold Lloyd,  Max Linder, Charlie Chaplin, Laurel et Hardy .... sans oublier ses innombrables copains du cirque.
L'écrivain et  critique Jean-Louis Bory écrivait que Pierre Etaix  "possède cette exigence des poètes - tout ou rien - qui les condamne à la blessure".

Voici l'artiste à jamais apaisé .. et en bonne compagnie