Fil d'Ariane
Ce n'est pas le seul texte qui s'amuse à emprunter des termes issus de l'argot ou d'autres langues. Comme les termes "seum" (énervé, agacé ou dégoûté), "igo" (ami), "condé" (policier), "hagar" (frapper). Si ces mots ne vous disent rien, c'est peut-être que vous n'avez jamais écouté de rap ou bien que vous n'avez pas lu le livre Les mots du bitume d'Aurore Vincenti. Un ouvrage qui explique les significations tout comme les origines de ces mots, aujourd'hui majoritairement utilisés par la jeunesse.
Parce que ce langage, et notamment celui utilisé dans le rap, change, évolue, se réinvente. Dans les textes, ce sont différentes cultures qui se confrontent. Les artistes empruntent des termes à l'arabe, à des expressions d'Europe de l'est et même à du vieux français !
"Les jeunes aiment ne pas être compris, c'est comme un jeu pour eux", nous dit en souriant Maria Candea, sociolinguiste et maîtresse de conférences à l'université Sorbonne Nouvelle (Paris). Pour elle, les rappeurs sont principalement des jeunes, qui ont une notoriété. Ce qui est plus facile pour créer (et diffuser) de nouveaux mots. "Le rap n'invente pas de mots, il sert de relais pour en faire circuler", précise t-elle.
Les termes utilisés aujourd'hui n'appartiennent pas forcément à l'argot, comme le justifiait Aurore Vincenti dans une interview au Figaro. Selon elle, l'argot serait un "langage crypté, codifié" qui demeure incompris du public. Or, ce n'est pas le cas aujourd'hui puisque bon nombre de mots sont entrés dans le langage courant, comme "daron" (père) ou "keuf"(policier). Aurore Vincenti précise : "Ces mots appartiennent au registre dit populaire. Ce sont des petits miracles de la langue, employés par la jeunesse mais pas que !".
Même constat de l'autre côté de l'Atlantique, à Montréal, où les mots employés traduisent le cosmopolitisme propre à la cité québécoise. "Montréal est une ville très cosmopolitaine, où il y a beaucoup d'Haïtiens, d'Arabes, des Français de France et des Québécois de souche", nous explique Myriam Fehmiu présentatrice de l'émission Rapophonie à Ici Musique (Montréal). "Il y a cette espèce de jargon qui emprunte des expressions à d'autres langues", précise-t-elle. Comme en France, la plupart des rappeurs qui diffusent de nouveaux mots sont, pour la plupart, jeunes. L'exemple le plus parlant est Fouki, jeune rappeur de 22 ans, qui a réussi à populariser le mot "zay" à Montréal et au Québec, qui signifie être zen, tranquille.
Qu'il crée des mots ou qu'il en invente, le rap cherche aussi, par les textes, à traduire une certaine violence, vécue par les rappeurs eux-mêmes. Cette violence, montre une volonté qu'ont certains d'exprimer leur colère. Coucher celle-ci sur papier aide à extérioriser, mais aussi témoigner leur quotidien, souvent peu entendu. Manon Labourie, dans son mémoire de Master 2, Le rap comme poétique du langage ordinaire cite le morceau "Shook Ones Part II" du groupe américain Mobb Deep pour justifier cela : "Got you stuck off the realness, we be infamous/ You heard of us, official Queensbrigde murderers/ The Mobb comes equipped for warfare, beware/ Of my crime family who got ‘nough shots to share".
Traduction : "Je te décolle de la réalité, nous sommes les terreurs / Tu as entendu parlé de nous, les nettoyeurs officiels de Queensbridge / Mobb Deep arrive équipé d'attirail de guerre / Fais attention à ma famille criminelle qui a des balles à distribuer".
Elle explique que "ce rapport entre violence et écriture enracine les paroles dans la réalité qui les inspire, et souligne leur valeur rédemptrice".
Isabelle Marc Martínez explique quant à elle dans sa thèse de doctorat que la violence, omniprésente dans les textes de rap américain, est proprement liée à la culture afro-américaine. "L'histoire de la culture afro-américaine a crée des oeuvres qui ont perpétré cette déviance par rapport aux superstructures d'oppression", explique t-elle en introduction du livre de Julien Barret, La violence dans Le rap français : esthétique et poétique des textes (1990-1995). Et cette agressivité inspire des groupes français, d'IAM à Kery James en passant par Lunatic et Suprême NTM, qui la retranscrive dans leurs textes.
Même si cette image violente du rap prédomine, d'autres rappeurs comme le belge Roméo Elvis et le français Lomepal souhaitent en montrer une autre facette. Roméo Elvis, notamment, qui est un consommateur de cannabis, a dit sur Instagram qu'il éviterait de parler de drogues ou fumer sur les réseaux sociaux, pour ne pas influencer son public.