Nos expos de l'été (3/4) : Pierre Soulages et Yves Klein à Rodez

24 décembre 1919 - 24 décembre 2019, Pierre Soulages, le maître de l'"outrenoir" célèbre ses cent ans. Retour sur les expositions "Le siècle Soulages" et "Yves Klein, des cris bleus" à Rodez, dans le Sud de la France.
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soulages expo rodez
Riche d’une exceptionnelle collection de statues menhirs, la Musée Fenaille a éveillé à l’art le jeune Pierre Soulages né le 24 décembre 1919 à Rodez 
©TV5MONDE/ I. Soler
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Alors que Pierre Soulages fête ses 100 ans ce 24 décembre 2019, sa ville de naissance ne pouvait faire moins que lui consacrer une année culturelle. À Rodez, Soulages a son musée éponyme mais ce n’est pas là que se tient l’exposition "Pierre Soulages, un musée imaginaire" mais au musée Fenaille.

Le musée d'archéologie et d'histoire du Rouergue s'intéresse aux toutes premières traces de l’homme, il y a près de 300 000 ans, jusqu’à l’aube du XVIIe siècle. Riche d’une exceptionnelle collection de statues menhirs, la Musée Fenaille a éveillé à l’art le jeune Pierre Soulages né le 24 décembre 1919 à Rodez et suscité son éphémère vocation d’archéologue amateur. L’archéologie ne sera pas son métier, l’art le sera avec le succès que l’on sait.

"J'ai dit à Picasso que le vrai lieu du musée imaginaire est nécessairement un lieu mental" : on tient le Lieu imaginaire de Malraux, lequel l’a emprunté à Léonard de Vinci qui parlait lui de "cosa mentale", de chose mentale, avant que tout le monde ne l’emprunte, à tort et à travers, à ses auteurs…

Un corpus d’œuvres pariétales et rupestres

Si Malraux parlait des reproductions photo des œuvres qui permettent de connaître l’œuvre sans la connaître de visu, Soulages, lui, a côtoyé beaucoup de celles présentées à Fenaille : les statues menhirs déjà citées, des fragments d’art pariétal, de la peinture rupestre…

Un art des origines qui a tant ému Soulages par son aspect brut, lui qu’agacent les "dentelles de pierre du gothique. Ce que j’ai aimé, ce sont les cryptes romanes, Conques, c’est l’architecture de cette époque. La sincérité plus que la virtuosité." Un corpus d’œuvres pariétales et rupestres d’ordre universel qui méritent bien leur entrée au Musée imaginaire. 

Et parce que Soulages voulait ouvrir son musée de Rodez à d’autres artistes (car on s’ennuie vite dans les musées monographiques, dit-il) le Musée Soulages accueille Yves Klein et quelques unes de ses œuvres en bleu.

"L’art est partout où l’artiste arrive"

Après Calder en 2017 et le Corbusier en 2018, le bleu Klein envahit le sous-sol du musée. L’exposition "Yves Klein, des cris bleus…" propose 65 pièces en majorité tirées des archives Yves Klein autour d’un bassin de ce bleu dit IKB (International Klein Blue) déposé en 1960 à l’INPI, l’Institut national de la propriété industrielle.

Le mantra de Klein : saisir la beauté qui existe à l’état invisible, et pour cela se libérer de la ligne en se tournant vers la monochromie. Son bleu vibre et vibrionne, éblouissant le regard, donnant à voir ce qui n’est pas représenté mais pourtant sur la toile. 

Une exposition qui ne révolutionnera pas pour les amateurs la connaissance de ce peintre mort à 34 ans, passé tel une météore dans les 60’s (1928-1962) mais qui après l’imposant accrochage à Beaubourg offre dans le Sud de la France et à tous ceux qui le découvriront lors de leur passage dans l’Aveyron une belle entrée en matière à son œuvre. Après les noirs changeants de Soulages, découvrir le bleu saturé de Klein électrise durablement le regard. 

A Yves Klein, le ciel, le bleu et l'infini

Fils né à Nice de parents peintres (sa mère Marie Raymond est la marraine de Soulages), le jeune Yves songe à une carrière dans la marine marchande mais faute de réussir au concours, se tourne vers le judo, sa première expérience d’ "espace spirituel".

klein exposé à rodez
Yves Klein et son « Aventure monochrome » en bleu. 
©TV5MONDE/ I. Soler

Il y rencontre le sculpteur Arman et le poète Claude Pascal (dont est exposé le Portrait Relief à Rodez) qui décrit ainsi leur rencontre : "En 1947, face à cette mer imbécile où se consument les vieillards de la France et de l’art, nous avions la vingtaine et nous nous nourrissions de l’or et du fer contenus dans l’air".
Les trois compères se partagent alors le monde : à Arman, la terre et ses richesses, à Claude Pascal l’air et à Yves Klein le ciel, le bleu et l’infini. 

Après une formation à Londres à la feuille d’or chez un encadreur, il part en août 1952 au Japon pour obtenir le 4ème dan de judo, le plus haut grade obtenu par un judoka européen. Grade refusé à son retour par la fédération française de judo.

L'empreinte du judo dans l'oeuvre de Klein

Klein se tourne vers son "Aventure monochrome", une aventure qui commence par un refus. En 1955, son monochrome orange est refusé par le Salon des réalités nouvelles, pourtant consacré à l’art abstrait au motif que nul motif ne figure sur la toile. Un an après il met au point son bleu IKB et adopte sa devise : "Pour la Couleur ! Contre la ligne et le dessin !"
 
Le judo fondé sur les forces et éléments du cosmos (eau, air, terre, feu) a forgé l’esprit de Klein. Son intérêt pour la philosophie des Rosicruciens en quête des forces spirituelles gouvernant l’univers a complété sa mystique.

Le monde est le principal acteur de l’art. Le nom de ses œuvres en est révélateur : Architecture de l’air (1959 projet avec l’architecte Claude Parent) et une conférence à la Sorbonne la même année intitulée "L’évolution de l’art vers l’immatériel", Reliefs planétaires et Cosmogonie Rose (1961).

Six mois après son mariage le 6 juin 62, Yves Klein comme il l’avait prédit meurt précocement d’une crise cardiaque. Son ancienne assistante, Rotraut, devenue son épouse n’en a pas la preuve mais en est persuadée : le bleu IKB et ses vapeurs toxiques ont tué leur inventeur.

"Le siècle Soulages"  du 15 juin au 10 novembre 2019.
 "Yves Klein, des cris bleus"  du 21 juin au 3 novembre 2019.