Le chorégraphe Benjamin Millepied a démissionné du poste de directeur de la danse à l'Opéra de Paris, confirmant une rumeur qui courrait depuis quelques jours. Aurélie Dupont lui succède. Retour sur les ambitions contrariées d'un homme ambitieux et pressé.
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Après mûre réflexion, j'ai décidé de mettre fin à mes fonctions de Directeur de la Danse au sein de l'Opéra de Paris" écrit Benjamin Millepied dans son communiqué annonçant son départ :
Il indique vouloir se "consacrer à 100% à la création", ce que ses fonctions à l'Opéra ne permettaient pas.
Un directeur étoile-filante
Benjamin Millepied, 38 ans, était arrivé en novembre 2014 à la direction du prestigieux ballet de l'Opéra de Paris. Le jeune chorégraphe souhaitait faire bénéficier la prestigieuse maison de son expérience, quitte à bousculer les habitudes les plus tenaces. Périlleux.
Sans doute, ce natif de Bordeaux a-t-il voulu imposer une efficacité toute américaine. Il en avait les capacités. Engagé au New York City Ballet en 1995, il est promu Soliste en 1998 et danseur « Principal » en 2002. L'année précédente, il faisait ses débuts de chorégraphe avec une pièce pour les élèves du CNSMD de Lyon puis présentait Triple Duet au Sadler’s Wells de Londres.
Benjamin Millepied avait modifié les horaires de répétition afin de permettre aux danseurs de mieux récupérer. Il s'était employé à faire changer le plancher des neufs studios de répétitions et, toujours pour le bien-être de ses pensionnaires, il avait institué des ateliers de yoga. Le 15 septembre - chose inédite au sein de la compagnie - il proposait une plate-forme numérique dédiée à la création. Mais l'Opéra voulait-il vraiment rentrer dans le 21ème siècle ?
Le Monde, dans son édition du 17 octobre, détaillait "l'effet Millepied" : "
1,1 million d’euros récupérés grâce au gala d’ouverture 'fundraising ', le 24 septembre ; 12 000 spectateurs pour l’opération 20 danseurs pour le XXe siècle, à 15 euros le billet. Mais encore, succès pour les fans de ballet, des soirées à 10 euros réservées aux moins de 28 ans, mises en place par Stéphane Lissner, pour l’ensemble de la programmation". En apparence, tout semblait bien se passer.
L'époux de la star de cinéma Natalie Portman n'est pas non plus un adepte de la langue de bois.
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Etre danseur, c'est s'exprimer, pas tenter de ressembler à un motif sur du papier peint ! disait-il. «Oui, les danseurs de corps de ballet doivent présenter une certaine homogénéité, avoir conscience de l'autre dans l'espace, mais avant tout, il faut qu'ils dansent ! En ce moment, à Garnier, dans le programme contemporain Wheeldon/McGregor/Bausch, ils sont fantastiques, d'une liberté totale. Mais, dans le classique, ça n'est pas ça», expliquait-il dans un documentaire co-produit par l'Opéra et diffusé sur Canal+ . Des mots qui n'avaient rien de révolutionnaires, mais qui avaient beaucoup choqué au sein de la vieille maison.
Sur Europe 1, Brigitte Lefèvre, qui a dirigé pendant vingt ans la compagnie, déclarait peu après l'annonce de sa démission : "
Le bons sens aurait été de nommer un bon connaisseur du ballet. Diriger une grande institution ne s'invente pas". Un très bon connaisseur de l'Opéra de Paris confiait à l'Agence France Presse : "
Benjamin n'avait pas mesuré que le poste implique 80% de tâches administratives et 20% seulement d'artistique. Il a voulu réformer vite, parce qu'il fait tout très vite, et il n'a pas été soutenu par la direction de l'Opéra".
L'annonce de son successeur n'a pas tardé : Aurélie Dupont, ex étoile à 25 ans devenue maître de ballet, vient de succéder à Benjamin Millepied.
La jeune femme n'a pas que des souvenirs heureux à l'Opéra. En août 2000, évoquant ses difficiles années d'apprentissage, elle déclarait au magazine
Marie-Claire : "
Pendant six années d’école, plus encore que la douleur intense des exercices, ce qui me fait le plus mal, c’est la méchanceté. Et la froideur des adultes. Un peu de douceur, de gentillesse ne nous auraient pas fait moins bien danser."
La voici désormais aux commandes. Quand elle aura apaisé l'émotion suscitée par le départ de Benjamin Millepied, elle sait ce qui lui reste à faire.