Exceptionnellement l'Académie suédoise a annoncé deux lauréats du Prix Nobel de littérature ce jeudi 10 octobre. L'un pour 2018 : la Polonaise Olga Tokarczuk ; et l'autre pour 2019 : l'Autrichien Peter Handke.
Elle est considérée comme la plus douée des romanciers de sa génération en Pologne, emporte le lecteur dans une quête de la vérité à travers des univers polychromes, mêlant avec finesse le réel et le métaphysique.
Engagée politiquement à gauche, écologiste et végétarienne, l'écrivaine de 57 ans, la tête toujours couverte de dreadlocks, n'hésite pas à critiquer la politique de l'actuel gouvernement conservateur nationaliste de Droit et Justice (PiS).
Née le 29 janvier 1962 dans une famille d'enseignants à Sulechow dans l'ouest de la Pologne, elle est auteure d'une douzaine d'ouvrages. Diplômée de psychologie à l'Université de Varsovie, elle s'intéresse aux travaux de Karl Jung. Pendant un temps, elle travaille comme psychothérapeute à Walbrzych (sud-ouest) et s'essaie à l'écriture. Elle publie un recueil de poèmes, avant de se lancer dans la prose.
Après le succès de ses premiers livres, elle se consacre entièrement aux lettres et s'installe dans le village de Krajanow dans les monts Sudètes (sud-ouest). Aujourd'hui, ses livres sont des bestsellers en Pologne, traduits dans plus de 25 langues, dont le catalan et le chinois. Plusieurs de ses ouvrages ont été portés sur scène et à l'écran.
Son oeuvre, extrêmement variée, va d'un conte philosophique "Les Enfants verts" (2016), à un roman policier écologiste engagé et métaphysique "Sur les ossements des morts" (2010), et à un roman historique de 900 pages "Les livres de Jakob (2014)".
2015: Svetlana Alexievitch (Biélorussie)
2013: Alice Munro (Canada)
2009: Herta Müller (Allemagne)
2007: Doris Lessing (Grande-Bretagne)
2004: Elfriede Jelinek (Autriche)
1996: Wislawa Szymborska (Pologne)
1993: Toni Morrison (Etats-Unis)
1991: Nadine Gordimer (Afrique du Sud)
1966: Nelly Sachs (Suède)
1945: Gabriela Mistral (Chili)
1938: Pearl Buck (Etats-Unis)
1928: Sigrid Undset (Norvège)
1926: Grazia Deledda (Italie)
1909: Selma Lagerlöf (Suède)
L'écrivain autrichien de 76 ans est récompensé cette année pour son “exploration de la périphérie et de la singularité de l’expérience humaine”.
Peter Handke est un auteur foisonnant en lutte contre les conventions, au prix de violentes polémiques, notamment en raison de ses prises de position pro-serbes.
Le Nobel de littérature ? "Il faudrait enfin le supprimer. C'est une fausse canonisation" qui "n'apporte rien au lecteur", aime à affirmer l'écrivain de 76 ans, silhouette élégante, cheveux argentés rejetés en arrière et regard perçant derrière de fines lunettes.
Dans le monde de l'édition, nombreux sont d'ailleurs ceux qui pensaient que le prix lui échapperait à jamais, malgré une oeuvre mondialement reconnue, à cause de son engagement pendant la guerre en ex-Yougoslavie.
D'origine slovène par sa mère, l'écrivain né le 6 décembre 1942 en Carinthie (sud de l'Autriche), s'affiche alors comme un des rares intellectuels occidentaux pro-serbe.
A l'automne 1995, quelques mois après le massacre de Srebrenica, il part en Serbie et rapporte ses impressions de voyage dans un livre controversé, "Voyage hivernal vers le Danube, la Save, la Morava et la Drina".
En 1999, il rend un prestigieux prix littéraire allemand, le prix Büchner, et quitte l'Eglise catholique pour protester contre les frappes de l'OTAN sur Belgrade, évoquant un "nouvel Auschwitz".
Sept ans plus tard, il provoque un tollé en se rendant aux funérailles de l'ex-président yougoslave Slobodan Milosevic, accusé de crimes contre l'humanité et génocide.
Il est contraint de renoncer à un prix que doit lui décerner la ville de Düsseldorf et la Comédie-Française déprogramme l'une de ses pièces.
Des intellectuels, dont sa compatriote Elfriede Jelinek, Nobel de littérature en 2004, prennent sa défense. Mais la polémique occulte pour un temps médiatiquement le travail de Peter Handke.
L'année dernière l'Académie avait dû renoncé à toute nomination. L'institution se trouvait alors au coeur d'un scandale d'agression sexuelle révélé au faîte du mouvement #MeToo.
Après des démissions en chaîne et l'intervention du roi pour réformer les statuts, les gardiens du temple, leurs illusions perdues, aspirent à refermer le livre d'une funeste période.
Un prix alternatif avait alors été remis par une "Nouvelle Académie", un groupe formé par 109 intellectuels suédois.
La somme du "vrai" Nobel est, elle, considérable. Il s'agit du prix le plus doté par l'Académie suédoise soit 9 millions de couronnes (830.000 euros. Dans son testament, l'inventeur Alfred Nobel a confié à l'institution suédoise la mission de récompenser chaque année "l'auteur de l'ouvrage littéraire le plus remarquable d'inspiration idéaliste".
Quatre à cinq membres (sur 18) sont chargés de recueillir et discuter les propositions de nomination, avant de soumettre une liste de noms à l'ensemble des académiciens. Chaque année, elle reçoit quelque 350 propositions écrites de candidatures émanant d'anciens lauréats, académiciens, organisations et autres professeurs du milieu littéraire et linguistique.