A quelques pas, une mère et sa fille plongées dans leurs téléphones n’avaient même pas vu ce nouveau distributeur. « Au début je pensais que c’était pour recharger les portables », reconnaît Aziadé, 15 ans. Ce matin, elle tombe sur une histoire d’humour « mais je n’ai pas encore trouvé le texte drôle. Je rééssaierai bien mais que pour un texte d’1 minute. Si je trouve la prochaine histoire pas bonne, je préfère reprendre mon téléphone. »
Sa mère, Khadija, 37 ans, est beaucoup plus enthousiaste. « C’est super sympa, j’aime beaucoup, j’adore l’idée », s’exclame-t-elle après avoir fini de lire un texte d’humour aussi. « Je trouve ça génial de venir égayer le quotidien dans des endroits où l’on ne s’y attend pas. »
Ces tickets porteurs d’histoires sont aussi, à leur manière, des invitations au voyage. L’idée est née dans une famille française. Isabelle Pleplé a fondé en 2011 avec son fils et son frère la « maison d’édition communautaire de littérature courte » :
Short Edition.
A l’origine, tout passe par une plateforme internet, où sont publiés des textes d’internautes/auteurs inconnus qui écrivent des histoires lisibles en moins de 20 minutes et ce, dans différents genres. «
Nous avons quatre catégories différentes sur notre plateforme : les nouvelles (à lire entre 6 à 20 minutes), les textes très courts (moins de 6 minutes), les BD et les poésies », énumère Isabelle Pleplé, cofondatrice de Short Edition.
Short Edition en chiffres
11 000 auteurs dont 60% de femmes 40% d’hommes
167 000 lecteurs inscrits
100 oeuvres soumises par jour dont 60 sélectionnées pour participer au grand prix par une communauté éditoriale de 200 internautes.
Leur idée naît lors d’un repas de famille et séduit : après une levée de fonds, le groupe de presse Express Roularta, maintenant Altice, entre dans leur capital en 2014. Et une nouvelle innovation émerge lorsque le trio fondateur se retrouve devant un distributeur : pourquoi pas diffuser aussi des textes comme ça, gratuitement, dans des lieux publics.
C’est d’abord, chez eux, à Grenoble que l’idée va plaire au maire de la ville qui veut apporter la culture dans des lieux où on l’attend pas. Des distributeurs sont donc installés dans le hall de l’hôtel de vile, l’office du tourisme, les maisons des habitants, des bibliothèques.
Des bornes dans les gares, hôpitaux, ...
«
Aujourd’hui on en a dans des gares SNCF beaucoup en Bretagne (Rennes, Brest, Quimper), à Bordeaux, dans la gare d’Austerlitz à Paris, dans le centre commercial parisien Italie 2, dans la salle d’attente du service d’oncologie de l’Institut Curie, à l’aéroport de Lyon, plus récemment dans le cabinet du Secrétaire d’Etat à la Francophonie André Vallini et … dans le café de Francis Ford Coppola » , énumère fièrement Isabelle Pleplé.
Ainsi, Short Edition a-t-elle désormais traversé l’Atlantique. Comme d’autres de leurs clients, le réalisateur américain les a directement contactés pour installer une machine dans son restaurant de San Francisco. Des textes ont été traduits en anglais et, lui, veut y ajouter des auteurs américains.
« Notre volonté, c’est d’adapter la littérature au monde moderne par la conjugaison du format court, de la communauté et de la technologie, explique la co-fondatrice Isabelle Pleplé. L’autre but, c’est de sauver la lecture en ouvrant l’écriture à tous mais il faut donc la financer cette écriture. On considère que les gens qui louent des bornes, comme la SNCF, représentent un nouveau mode de financement de l’édition pour des gens qui n’ont pas leur place dans l’édition traditionnelle. »
Des auteurs (un peu) rémunérés
Ainsi, les auteurs liés pas contrat à Short Edition sont-ils aujourd’hui rémunérés sur une partie de la somme de la location des bornes qui peut aller de 300 à 500 euros par mois. Une rémunération minime, « pour l’instant » espère Isabelle Pleplé. Elle mise sur la multiplication de ces machines pour les payer davantage.
Leur modèle, s’il se démarque par ses bornes de distributions, existe déjà dans le monde anglophone. Des plateformes de publications de textes d'inconnus connaissent un réel engouement notamment auprès des adolescents. Celle dénommée Wattpad qui a fait connaître des auteurs et permis à certain(e)s d'être publié(e)s comme
Anna Todd et son « mommy porn » à succès intitulé
After. Face à ces écritures plus adolescentes parfois et non rémunérées, Short Edition, veut, semble-t-il, miser sur une vraie qualité d’écriture. Avis aux lecteurs !