Cette maison, j'y suis allée, j'y ai même habité. Une chance comme il s'en trouve peu. C'était à l'été 1979. Je sortais de l'école de journalisme et j'avais été affectée pour mon premier emploi au Télégramme de Brest.
Didar Fawzy et Jean-Louis Hurst,
dit Maurienne, qui furent, au temps de la guerre d'Algérie, porteuse de valise pour la première, déserteur de l'armée française pour le second, m'envoyèrent chez René et Soazig. La maison était donc vide de meubles, mais pas de bruits, de rires, de cris, de disputes vivifiantes. Moïra leur fille qui allait sur ses deux ans, babillait sans cesse, un peu irritée que nous ne comprenions pas ses propos. Son fils Alain - et celui de Colette Merle -, passait quelquefois (il n'était pas encore le directeur des programmes de France Télévision. Sa mort prématurée en 2011 porta un coup terrible à René et sa famille.) Et dans cette maison, les "acteurs" de ses films venaient échanger, débattre, ou simplement se reposer. En 1979, les plus assidues du Conquet étaient les "héroïnes" de "Quand les femmes ont pris la colère", ces épouses de grévistes de l'usine Tréfimétaux, à Couëron, banlieue de Nantes, qui à l'été 1975 prirent en otage le patron de leurs maris ouvriers. Documentaire poignant, magnifique dédié à l'émancipation des femmes, co-réalisé avec Soazig Chappedelaine, sa seconde femme.
Comment résumer une vie si riche… Des mots si forts qui jalonnent 86 ans : Bretagne, résistance, guerre d'Algérie, communisme, mouvement ouvrier, cinéma, antiracisme, anticolonialisme, Algérie indépendante, caméra, censure, grève de la faim, prison, engagement toujours. René avait 11 ans aux premiers jours de la Seconde guerre mondiale. Il fut l'un des plus jeunes maquisards de France. Avant de devenir l'un des premiers anticolonialistes de la guerre d'Algérie. Evénement majeur pour le cinéaste avant gardiste et le militant. Il en reviendra avec deux choses dans la tête : un film que l'on projette encore à New York ou à Berlin, "
Avoir vingt ans dans les Aurès", récit d'un réfractaire à la "guerre sans nom", et un bout de caméra dans la tête. René disait qu'il était le cinéaste français le plus censuré et qu'il était le seul à avoir une caméra dans la tête.
« La balle est venue dans la caméra, la caméra a explosé, un petit truc m'est arrivé dans le crâne. J'avais un passeport d'apatride sous responsabilité tunisienne, valable pour tout pays sauf la France. J'ai réussi à rejoindre l'Allemagne (de l'Est, communiste) pour qu'on me soigne le crâne et en même temps pour faire le montage de ce que j'avais tourné en Algérie et que j'ai appelé "Algérie en flammes".
On examine mon crâne et le toubib me dit :
- Y a un morceau de métal
- Oui, c'est le morceau de l'objectif de la caméra
- C'était quoi votre caméra?
- Pourquoi?
- Parce qe je ne sais pas si on peut l'enlever. Un cal s'est formé. Il faudrait couper une partie de l'os du crâne et mettre une plaque; d'un autre côté, comme ça ne risque plus de gratouiller le cerveau... Cétait quoi votre caméra?
- Une caméra Paillard
- Paillard, c'est du matériel suisse, c'est du matériel propre, je suis d'avis qu'on laisse le morceau.
- Oui oui, moi aussi, je suis d'accord !
Je l'ai toujours. Je suis le seul cinéaste à avoir un morceau de caméra dans la tête, en tout cas, je n'en connais pas d'autres. »