Fil d'Ariane
TV5MONDE : La 45ème cérémonie des César a été l'occasion pour la comédienne française Aïssa Maiga, de réclamer plus d'inclusion dans le cinéma français, une meilleure représentativité des populations minorisées, en particulier les Noirs. Au-delà des vaines polémiques, pourquoi cette question est-elle toujours aussi difficile en France ?
Rokhaya Diallo : Je crois que l’intervention d’Aïssa Maïga a beaucoup frappé le public parce qu’en France, la question du racisme, la question des discriminations est encore taboue. Il est très rare de voir des personnes la formuler de manière aussi franche.
Je crois que beaucoup de personnes étaient très choquées parce que pas du tout prêtes à entendre une actrice s’exprimer de manière aussi explicite sur une question qu’on a tendance à vouloir mettre sous le tapis. J’ai trouvé Aïssa Maïga extrêmement courageuse dans sa manière de parler - intransigeante, claire, mais souple en même temps.
C’est une question qui est ancienne. Et Aïssa Maïga s’exprimait vingt ans après l’écrivaine Calixthe Beyala et le comédien et metteur en scène Luc Saint-Eloy, tous deux Noirs, et qui, à l’époque, avaient aussi bousculé le public des César.
Je pense que c’est une question qui est toujours d’actualité, même si Ladj Ly, le réalisateur du film « Les misérables », ou encore Rochdy Zem pour son rôle dans « Roubaix une lumière », ont obtenu des Césars cette année. Je rappelle que l’année dernière par exemple, il n’y avait aucun nommé noir. Donc en récompensant tous les trois ans des films, l’académie des Césars pense peut-être faire illusion. Mais la vérité c’est que très peu de personnes perçues comme non-blanches ont accès à des nominations prestigieuses, à des récompenses prestigieuses.
Vous venez justement de réaliser Où sont les Noirs ?, un documentaire qui aborde cette problématique de façon globale. Comment est née l'idée de ce documentaire et avez-vous rencontré des difficultés particulières pour le réaliser ?
Rokhaya Diallo : Ce documentaire est né sur une idée originale du producteur Richard Koné et du journaliste et producteur de radio Ali Rebeihi. Ils l’ont porté pendant plusieurs années, avec la productrice Valérie Tubiana. Et malheureusement, ils ont tapé à plusieurs portes qui ne se sont jamais ouvertes, parce qu’on leur a dit que le sujet était clivant, très compliqué.
Au bout de quelques années, ils ont décidé de me confier le documentaire. Et c’est marrant parce que le sujet m’a paru une évidence. Mais on a quand même porté ce documentaire pendant deux ans, avant qu’il ne voit finalement le jour.
Les difficultés ce sont surtout celles qu’ont rencontrées les producteurs, de voir des chaînes porter ce sujet. Mais RMC Story a décidé d’acheter ce documentaire, de le diffuser. Et ils le portent vraiment à un niveau qui est très rare pour une chaîne, avec une diffusion en prime time. Il y a un véritable investissement des équipes de la chaîne. Et ça, c’est suffisamment rare pour être souligné.
Dans ce film, l'on comprend bien que cette question remonte aux débuts du cinéma en France au siècle dernier. Qu'avez-vous découvert que vous ignoriez avant cette aventure ?
Rokhaya Diallo : j’ai découvert qu’un film franco-italo-brésilien, « Orfeu Negro », avait eu la Palme d’or (du festival de Cannes) en 1959, ce que j’ignorais. Je connaissais ce film, mais je n’avais pas réalisé qu’un casting noir avait eu une telle reconnaissance dans les années cinquante.
Mais ce qu’il faut surtout souligner, c’est que depuis les débuts du cinéma français, les Noirs sont des supports de la diffusion des préjugés qui les visent, et dont ils sont victimes. A l’époque des frères Lumière, on peut voir que le clown Chocolat, qui était l’une des premières stars noires mondiales, est déjà représenté dans le cinéma comme étant un être ridicule. Et ces clichés ont été diffusés de décennies en décennies.
Je pense par exemple à la représentation de Joséphine Baker, qui était une femme hyper sexualisée, ou des Noirs qui étaient grotesques, ridicules sur les écrans de cinéma ou dans des téléfilms, mais également dans la publicité. C’est donc quelque chose qui a accompagné toute l’histoire du cinéma français, puisque le cinéma est né quasiment en même temps que l’expansion coloniale.
Vous avez choisi de donner la parole à des comédiens (comédiennes), réalisateurs (réalisatrices), producteurs (productrices), directeurs de casting... En revanche, vous n'avez pas interrogé d'hommes ou de femmes politiques. Pourquoi un tel choix ?
Rokhaya Diallo : Nous avons vraiment eu à cœur d’interroger des intellectuels, des personnes qui sont acteurs, actrices du cinéma, et de la télévision, parce qu’on voulait surtout interroger les gens qui font les images, qui les fabriquent, ou qui les ont étudiées, comme c’est le cas des intellectuels que nous avons questionnés comme Marie-France Malonga, ou Régis Dubois. Il y a même des personnes que j’aurais aimé intégrer, que je n’ai pas pu interroger, faute de temps. Le film ne dure qu’une heure.
Quant aux politiques, je pense que ça ne m’est même pas venu à l’esprit. L’idée c’était de faire un état des lieux, de proposer des solutions. Et à ce jour, les lois contre les discriminations existent déjà. Je pense que d’une certaine manière le CSA, le Conseil supérieur de l’audiovisuel, incarne ici les « institutions » ; et je pense que la parole d’une ancienne memebre du CSA comme Memona Hintermann-Affejee sur la loi, qui ne formule pas d’obligation explicite, et sur l’absence des quotas, était largement suffisante et ne nécessitait pas l’adjonction d’une parole politique.