Partir ou rester ? C’est le dilemme au cœur du périple de Bikontine (l’enfant adulte, en français) à travers son pays, le Burkina Faso. Carnet en main, le jeune poète entame un voyage sur la terre “des hommes intègres” en remontant l’unique voie ferrée du pays. Dans sa quête d’une vie meilleure, la figure de Thomas Sankara l’accompagne.
Avec "Sankara n’est pas mort", son premier film documentaire, la réalisatrice française Lucie Viver dresse le portrait sensible d’un peuple résilient.
“Quand j’ai découvert le pays en 2012, j’ai été frappée par les couleurs, les sons, les odeurs… C’est cette expérience polysensorielle que j’ai voulu retransmettre”, raconte Lucie Viver. Là-bas, elle rencontre Bikontine. Leur complicité est immédiate et elle fera du poète le personnage central de son film. Pour la réalisatrice, “c’est le privilège du poète de posséder un point de vue affirmé et en même temps une disponibilité totale aux influences extérieures. Son regard est salvateur.”
Un regard, qu’elle doit décentrer afin d’être au plus proche des concernés. “Je suis blanche, j’ai une caméra et je ne suis pas dans mon pays. Même si j’ai passé beaucoup de temps avec les gens, à les écouter et à vivre avec eux, je ne voulais pas faire ce film seule. Ça fonctionne parce que les Burkinabés s’adressent à Bikontine.”
Plus que tout, c’est “la culture du débat politique” qui l’intéresse au Burkina Faso. Dans le film, les personnages font l’état des lieux d’un système. Celui de Blaise Compaoré, chassé du pouvoir par la rue en octobre 2014, après 27 ans à la tête du pays. C’est à la suite de cet évènement que l’idée du film germe. “L'insurrection populaire a donné de l’espoir à beaucoup de gens. Les enjeux étaient énormes car on sait que le plus difficile c’est la gestion de l’après. Ce soulèvement a marqué le retour en force de Sankara dans le paysage burkinabé”, explique Lucie Viver.
Prédécesseur de Blaise Compaoré, Thomas Sankara est surnommé le Che Guevara africain. Leader panafricain charismatique, il devient président en 1983 à l’âge de 33 ans. Dérangeant pour les uns, visionnaire pour les autres, le capitaine révolutionnaire se sait menacé. Il est assassiné le 15 octobre 1987 lors d’un putsch qui aboutit à la prise de pouvoir de Blaise Compaoré, son ancien ami. Sous Compaoré, CDs de discours et recueils de citations de Sankara s’échangent sous le manteau. “Ça renforçait le mythe”, poursuit Lucie Viver, qui découvre l'histoire et les travaux de Sankara à cette période.
Aujourd’hui, la pensée politique de Sankara entre en résonance avec la soif de justice sociale de toute une génération. Mais se révolter est-il une solution ? Que faire ensuite ? Faut-il se sacrifier dans l’intérêt commun ? Autant de réflexions soulevées par l’histoire de ce poète tiraillé entre responsabilité collective et désir individuel.
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“Trouver l’équilibre entre la trajectoire d’un poète et le portrait du pays” est l’objectif du film. Pour cela, “rencontres et dialogues sont documentaires, la parole est libre”, précise Lucie Viver. Pour exprimer les émotions de Bikontine certaines situations sont toutefois mises en scène, “mais toujours en lien avec son ressenti”, assure t-elle. Si la lumière (magnifique) et les couleurs sont très présentes, la nuit voit les visages et les récits s'entremêler. “C’est le lieu des possibles et des désirs cachés. Un moment où les sentiments profonds s’expriment plus aisément”, confie t-elle.
Crise sanitaire oblige, le film est disponible en e-cinéma. Un pari, pour ce projet financé en parti par TV5MONDE et diffusé prochainement en deux parties sur les antennes de la chaîne.