TV5MONDE : Quelle a été votre réaction après la triste annonce du décès de Jean-Paul Belmondo?
Sidiki Bakaba : C'est un choc. C'est un grand frère qui est parti. Dès le premier jour de notre rencontre en 1981, sur le tournage du "Professionnel" de Georges Lautner, il m'a appelé "petit frère". En Afrique, c'est assez courant d'appeler quelqu'un "petit frère" ou "Tonton" ou "Papa". Mais en France, ça l'est beaucoup moins surtout dans les années 80 ! Venant d'un Européen, Français, de manière aussi spontanée, je n'avais jamais connu ça.
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Nous tournions alors en Camargue et un jour, il est venu à ma porte et m'a dit : "Allons courir." C'était un monstre sacré que j'admirais beaucoup. Donc je l'ai suivi, j'ai couru, mais rapidement j'ai été distancé et essoufflé. Il m'a dit : "Serre les dents. Il ne faut jamais baisser les bras, petit frère. Il faut toujours que tu tiennes." Moi, je l'écoutais avec la langue qui pendait (rires). Ça a été comme ça tous les matins.
Il y a eu cette complicité entre nous durant tout le tournage. À chaque fois que Lautner finissait un plan sur lui, il disait "Eh ! le contre-champ sur Sidiki !". Il est comme un sportif qui sait qu'il faut passer la balle pour faire un jeu harmonieux.
TV5MONDE : Quel souvenir gardez-vous de lui?
Sidiki Bakaba : Cette générosité, d'échanger, de passer la balle. Dès qu'il a un partenaire, il en tient compte. Cela m'a frappé. Ce ne sont pas tous les acteurs qui font ça.
Et puis, à cette époque, la présence des acteurs noirs à l'écran était rare. Nous étions plus des silhouettes que des vrais rôles comme j'ai pu avoir la chance de jouer. Quand le film est sorti, j'étais au générique de début, alors qu'on aurait pu m'accorder cinq petites minutes de présence et un nom au générique de fin. Et bien non. Ça aussi c'était Jean-Paul.
Dans mon métier, il m'a beaucoup influencé. Les coups lors des scènes d'actions intenses, il les prenait vraiment. J'ai assisté à tout cela. Il se défonçait vraiment pour son métier et je me suis dit : "voilà un modèle". C'est quelqu'un que j'ai profondément admiré.
TV5MONDE : Était-il le même homme une fois la caméra éteinte?
Sidiki Bakaba : Tout à fait. C'était un grand homme et surtout un grand coeur. Il était d'une humanité étonnante. Quand nous nous sommes revus après 40 ans, il ne m'avait pas oublié, après tout ce qu'il a réalisé. Sur la photo de nos retrouvailles, l'éclat de rire est authentique, je peux vous l'assurer.
Dans notre métier, nous croisons énormément de gens, mais nous en rencontrons très peu. Je crois que c'est d'autant plus vrai aujourd'hui. Ma mère me disait toujours : "Dans la vie, le frère ou la soeur ne vient pas forcément du même ventre, le vrai frère vous le rencontrez sur le chemin de votre destin." Jean-Paul n'était pas ivoirien, ni mandingue comme moi, mais c'était mon frère quand même.