1853. Victor Hugo est en exil sur l'île de Jersey. Pour établir un contact avec sa fille Léopoldine disparue tragiquement, Victor Hugo se livre à d'innombrables séances spirites. Adepte fervent de cette "science nouvelle" des "tables tournantes" il "parlera" avec sa fille mais aussi avec Shakespeare, Jésus-Christ, Racine, Mahomet, Molière !
Le 6 septembre 1853, Delphine de Girardin débarque sur l'île de Jersey.
La poétesse rend visite à la famille Hugo, exilée à Jersey depuis le coup d’Etat de Louis-Napoléon Bonaparte. Elle n'y restera qu'une semaine mais sa visite va bouleverser à jamais la vie du génie français.
Delphine de Girardin prétend savoir faire parler les
morts grâce à une "science nouvelle", celle des "Tables dites tournantes".
Hugo se dit intéressé.
Est-ce pour tromper un certain ennui ?
Pour se distraire de cette maison isolée, inlassablement fouettée par des vents violents ? Sans doute.
Dans son ouvrage Victor Hugo et le spiritisme, le docteur Jean de Mutigny
brosse un portrait saisissant du lieu : "Pour tout paysage, la mer,
les rochers dantesques, un dolmen et un cimetière voisin pour égayer le tout. D’ailleurs la plage, si l’on fait foi aux habitants du pays, est hantée. On peut y voir, pendant les nuits de pleine lune, un décapité qui erre inlassablement à la recherche du repos éternel, il y a aussi la Dame blanche, jeune femme infanticide qui apparaît de temps en temps sur les rochers, une Dame noire, ancienne druidesse qui aurait immolé son père sur un dolmen au cours d’une cérémonie et une certaine Dame grise, dont on ignore les antécédents".
Le décors est planté.
Le poète pense aussi et surtout trouver là un moyen d'apaiser une douleur jamais éteinte : entrer en communication avec sa fille Léopoldine, disparue presque dix ans jour pour jour, lors d'une promenade en canot sur la Seine avec son mari.
Victor Hugo, ce jour-là, était absent. Il se trouvait dans le sud-ouest de la France, en voyage amoureux avec Juliette Drouet. Il n'apprendra la tragédie que cinq jours plus tard, en ouvrant par hasard un journal.
Pourquoi nier l'évidence ? Oui, il est naturel que les esprits existent
Victor Hugo
Et Léopoldine se manifesta...
Ce dimanche 11 septembre 1853, l'avant-veille du départ de Delphine de Girardin, Léopoldine se manifeste en présence du poète, de sa femme, de leurs enfants Adèle et Charles et de quelques amis. Tout le monde pleure. Mais comment être certain qu'il s'agit bien de Léopoldine ? Madame Hugo avait posé une question précise à sa fille, dont la réponse n'était connue que des deux femmes. Auguste Vacquerie, beau-frère de Léopoldine et
présent lors de cette "communication" écrira, convaincu : "Ici, la confiance renonçait : personne n’aurait eu le cœur ni le front de se faire devant nous un tréteau de cette tombe. Une mystification était déjà bien difficile à admettre, mais une infamie !"
Victor Hugo est convaincu de la réalité spirite. Il est donc possible d'entrer en communication avec l'invisible !
Il écrira en janvier 1854 : "Voilà qui est prodigieux ! Il n’y a rien à répondre à cela. Je me déclare convaincu" puis à son fils François-Victor : "Le phénomène des tables parlantes n'amoindrit pas le XIXè siècle, il l'agrandit (...) "
Mais Juliette Drouet, son amante, ne partage nullement son enthousiasme. Le 14 septembre 1853, soit quelques jours à peine après cette "révélation", elle couche ces mots à l'adresse de son bien-aimé : "Quant à vos diableries j'y vois pour l'avenir plus d'inconvénient que de plaisir, quelles que soient d'ailleurs vos convictions personnelles et collectives. Je m'explique mal, mais je sens que ce passe-temps a quelque chose de dangereux pour la raison, s'il est sérieux, comme je n'en doute pas de ta part, et d'impie, pour peu qu'il s'y mêle la moindre supercherie."
Victor Hugo passe outre.
Il devient un enragé de ces séances qui lui permettent de parler avec les morts les plus célèbres. Avec les Tables, les disparus ne le sont plus tout à fait. L'occulte peut être synonyme de progrès, avec leurs lots de révélations vitales.
Hugo, dépositaire d'une religion nouvelle ?
Hugo et les siens interrogent les tables très régulièrement pendant plus de deux ans, de jour comme de nuit. Lors de ces séances, c'est son fils Charles qui joue le rôle de médium. C’est lui qui tient le crayon pour retranscrire les mots des esprits. Et ils sont nombreux à se manifester !
Le 13 septembre 1853, il dialogue avec l’âme endormie de Louis-Napoléon Bonaparte, le 29 décembre 1853, il converse avec le poète André Chénier, le 19 février 1854 avec Molière ! Le 3 septembre 1854 il s'entretient avec la Mort : "Tout grand esprit fait dans sa vie deux œuvres : son œuvre de vivant et son œuvre de fantôme" affirme son esprit.
Mais a-t-il la permission de publier le compte rendu de ses entretiens avec l'au-delà ? L'esprit du Drame lui dit "non".