Dans les milieux concernés, à commencer par Suisse Tourisme, c’est le nom de code officieux – utilisé discrètement, sans doute par peur de vendre trop tôt la peau de l’ours. Le nouveau Musée Chaplin, qui ouvre ses portes au public ce dimanche 17 avril, serait un Graceland local. Il existe une similarité : le lieu de vie de l’artiste mondialement connu devient le cocon d'une déambulation ludique, familiale, touristique.
Le surnom de Graceland pose une ambition. La demeure d’Elvis Presley accueille environ 600 000 visiteurs par an. A Corsier-sur-Vevey, dans le parc du manoir de Ban, les responsables du Chaplin’s World by Grévin escomptent 300 000 curieux en temps ordinaire, dont deux tiers venant de l’étranger.
C’est élevé. Vedette des musées romands, le Musée Olympique de Lausanne a annoncé «près de» 300 000 visiteurs en 2015. La star nationale, le Musée des transports de Lucerne, frise les 525 000 clients. Et le populaire Château de Chillon draine 375 000 touristes par an. Grévin, filiale de la Compagnie des Alpes, qui possède le Parc Astérix et le Futuroscope, fixe la barre plutôt haut pour le nouveau musée.
Son directeur, Jean-Pierre Pigeon, l’assure : l’objectif est «tout à fait atteignable». Il renchérit : «Je suis chaque jour impressionné par la popularité intacte, et considérable, de Chaplin. Voyez ses fans sur Facebook, près d’un million pour la page officielle. Et c’est un personnage multiple, que l’on peut faire évoluer en plusieurs directions.»
Le site est prêt, promettent les responsables. Il peut accueillir jusqu’à 3500 personnes par jour, en grappes de 60 à 80 curieux admis toutes les 15 minutes dans la nouvelle construction, à côté du manoir. Il comprend 240 places de parc par îlots autour du site et deux zones de débarquement pour les cars - constructions accompagnées d'une forte hausse de la fréquence des transports publics ; les canaux pour acheminer les visiteurs se sont développés, la route d’accès a été refaite. Il s’y ajoute l’hôtel Modern Times, ouvert en mars, qui, non loin, offre 138 chambres et suites.
Sans conteste, dans la région, après 16 années de suspense, la curiosité sera vive, et les premiers mois, le musée ne devrait pas désemplir. Jean-Pierre Pigeon l’admet, il vivra «une montée un peu artificielle au début. Le défi sera les années 2018 et 2019.» Et pour le relever, les tours opérateurs joueront un rôle majeur. La demeure de Chaplin s’ajoute au parcours local, à commencer par le produit d'appel, le Château de Chillon, ainsi que L’Alimentarium et Nest, le nouveau musée Nestlé qui ouvre en juin, sans oublier les chocolatiers de Cailler à Broc. En outre, Grévin mise sur ses antennes à Montréal et en Corée pour drainer des curieux.
Vice-directeur de Montreux Vevey Tourisme, Grégoire Chappuis le garantit: «Nous nous préparons depuis cinq ans, notre industrie touristique est prête». Il pronostique, lui, «une montée en puissance». Chillon «a atteint son paroxysme en termes de fréquentation». Dès lors, de nouvelles offres se révèlent bienvenues. «Les monuments historiques se trouvent sur bien des sites dans le monde. Un musée sur Chaplin, comme sur l'olympisme, est une offre unique au monde.» Grégoire Chappuis n'a aucun doute sur les objectif que s’assigne Grévin, «le produit est solide».
Ce nouvel appétit touristique sur la Riviera, où le Festival de Montreux va fêter ses 50 ans, finira-t-il par provoquer une nouvelle concurrence à Lausanne, sur son flanc oriental ? A la tête de Lausanne Tourisme, Steeve Pasche ne se laisse pas ébranler. «Nous avons nos propres nouveautés, deux grandes offres à venir...». C’est-à-dire Aquatis, un musée dévolu aux écosystèmes d’eau douce, qui ouvrira au printemps 2017 au terminus nord du M2 (Croisettes), et qui vise une fréquentation proche du Chaplin's World ; ainsi que le pôle muséal vers la gare, dès 2019. «Lausanne a un tourisme d’affaires à plus de 65 %. Tout ce qui enrichit le domaine culturel dans la région nous enchante.»
Avec la Riviera, il «peut y avoir concurrence sur des courts séjours» ; mais par exemple, pour les virées urbaines du type d’un week-end, les stratèges du tourisme sont convaincus que Lausanne et la Riviera offrent des créneaux intéressants, encouragés par les brefs temps de déplacement. De quoi rêver à une ruée vers Chaplin, qui rejaillisse sur l'ensemble de la région.
Article paru sur le site du journal Le Temps