Rencontre

Thomas Jolly, directeur artistique des cérémonies aux Jeux Olympiques de Paris : "j'aime le risque !"

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Thomas Jolly

Thomas Jolly mettra en scène les cérémonies d'ouverture et de cloture des Jeux olympiques 2024 à Paris.

© Anthony Dorfmann
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Un honneur, puis le vertige. En septembre 2022, Thomas Jolly est choisi pour devenir le directeur artistique des cérémonies des Jeux Olympiques de Paris. Un défi immense que de diriger le plus gros spectacle du monde avec un milliard et demi de spectateurs. Qu’à cela ne tienne, Thomas Jolly nous promet des surprises et de "briser le moule" des traditionnelles cérémonies. Nous l'avons rencontré à Montréal, au Québec.

Une photographie de ce qu’est la France hier, aujourd'hui et demain. C'est ainsi que Thomas Jolly voit les cérémonies sur lesquelles il travaille depuis un an et demi, en compagnie de collaborateurs et collaboratrices issus de tous les domaines.

Le talentueux metteur en scène dit avoir visionné de nombreuses cérémonies des JO passés : "Je voulais voir comment chaque artiste, chaque directeur artistique s’en était emparé. Mais la grande chance de cette cérémonie d’ouverture à Paris, c’est que d’abord on change la localisation : pour la première fois dans l’histoire des JO modernes, on ne sera pas dans un stade mais sur la Seine, sur le fleuve, avec Paris comme décor, alors ça, c’est quand même merveilleux. Et puis, quitte à changer la localisation, je me suis dit : et si on changeait aussi la structure habituelle d’une cérémonie ? Normalement c’est trois grandes parties : le show artistique, la parade des athlètes et les éléments plus protocolaires, les discours, les serments, etc... J’ai donc proposé au Comité international olympique (CIO) qu’on puisse entremêler ces trois grandes parties pour créer une cérémonie qui sera, pour le coup, une vraie création, une page blanche. Il n’y a pas de précédent".

"Une aventure artistique inouïe"

Et Thomas Jolly dit que ce défi comble le créateur en lui : "Pour l’artiste que je suis, qui aime la création, et pas simplement reprendre des recettes, c’est une aventure artistique inouïe. Alors oui, elle est risquée artistiquement parce qu’on veut créer quelque chose de différent, mais y a-t-il de la création sans risque ? Je ne crois pas… Y a-t-il de la création sans doute ? Je crois que le doute est créatif et qu’il faut douter pour créer. Donc, je ne suis pas angoissé, je suis simplement très stimulé. Et avec cette expérience de recherche et d’invention, c’est déjà pour moi une aventure réussie. Bien sûr, la finalité sera le 26 juillet, je souhaite de tout mon cœur que la fête soit belle, je donne tout, je fais de mon mieux, avec toutes mes équipes derrière pour que la cérémonie soit belle, mais c’est déjà une aventure artistique et humaine passionnante".

Quelles sont les idées que la France représente et quelles sont les bonnes idées que la France pourrait donner au monde ? C’est l’enjeu de ce récit. Thomas Jolly, metteur en scène

Le metteur en scène essaie de garder le plus possible le secret entourant la cérémonie d’ouverture : "Mais on en sait déjà beaucoup : on sait que ce sera sur la Seine, on sait que les athlètes seront sur des bateaux, que la structure a été modifiée, on sait que ça démarre au Pont d’Austerlitz et que ça arrive à la Tour Eiffel, on sait qu’il y aura des stations artistiques que des athlètes vont traverser. Pour ce qu’il est de l’Histoire de France, elle est déjà présente sur les bords du fleuve mais de manière non chronologique, avec des bâtiments qui viennent d’époques différentes et qui ont connu des événements historiques différents et qui jalonnent la Seine tout au long du parcours de façon désordonnée. Et c’est ça qui m’a donné envie de ce récit, avec les auteurs et autrices avec lesquels on a travaillé, on a regardé ce que ce parcours racontait de notre histoire mais aussi ce qu’il pourrait raconter de notre avenir. L’histoire de France, elle est présente, on n’a pas tellement besoin de la prendre en charge. Par contre, quelles sont les idées que la France représente et quelles sont les bonnes idées que la France pourrait donner au monde ? C’est l’enjeu de ce récit".

Paris et la Seine, les acteurs principaux

Thomas Jolly

"Pour l’artiste que je suis, qui aime la création, et pas simplement reprendre des recettes, c’est une aventure artistique inouïe."

© Anthony Dorfmann

Thomas Jolly se dit très chanceux de pouvoir mettre en valeur la ville de Paris, l’une des plus belles du monde, dans ces cérémonies : "Paris, c’est une ville qui s’est construite avec le monde, en résonnance avec le monde, en permanence et depuis toujours, elle a été faite des influences multiples qui l’ont traversées et qui l’ont construites. Et je pense qu’au moment où le monde entier est accueilli à Paris et regardera Paris ce soir-là, c’est beau de se dire que Paris, peut-être, symbolise, cette union, cette multitude, cette diversité, la richesse de cette porosité entre les cultures, entre les influences, les langues et que c’est une manière de faire l’humanité, Paris".  

Je vais jouer avec la nature, j’espère qu’elle voudra bien jouer avec moi. Thomas Jolly, metteur en scène

Thomas Jolly se dit prêt à vivre avec les aléas du climat, pluie, vent, orages ou canicule le 26 juillet prochain, ce sont des éléments sur lesquels personne n’a de toute façon aucun contrôle : "Je vais jouer avec la nature, j’espère qu’elle voudra bien jouer avec moi" dit-il en souriant.

Et quand on lui demande si les six prochains mois le font stresser, il répond qu’il a tellement de travail, tellement de problèmes à régler, d’idées à finaliser, de visites à faire qu’il n’a même pas le temps d’angoisser d’ici le 26 juillet : "Je ne vous cache pas qu’à certains moments, je me dis : ok, on est quand même en train de préparer le plus gros spectacle du monde. Et puis, très vite, je me dis aussi : quelle chance, mais quelle chance ! Et puis j’aime le risque, j’aime ça", s’exclame le directeur artistique de cérémonies qui vont peut-être marquer l’histoire de l’olympisme…

Le succès bœuf de Starmania

Avant de se lancer dans la folle aventure des cérémonies des JO de Paris, Thomas Jolly a relevé avec brio le défi de créer une nouvelle mouture d’une comédie musicale mythique : Starmania. Le metteur en scène a remis au goût du jour l’opéra rock, fruit de la collaboration entre Michel Berger et Luc Plamondon. Et depuis la première à Paris à l’automne 2022, le succès est au rendez-vous : déjà plus de 700 000 spectateurs, un départ en tournée en France sous peu avant d’arriver au Québec en août prochain. "Je suis ému, depuis la première en octobre 2022, de l’extrême popularité de l’œuvre dont j’avais conscience mais de manière théorique, là je le constate", nous dit Thomas Jolly. Et ce qui l’émeut plus particulièrement, c’est de voir que, dans la salle, il y plusieurs générations, celles qui ont connu la première mouture de Starmania et les suivantes, et les jeunes générations qui viennent découvrir le spectacle. Parce que cette comédie musicale est transgénérationnelle depuis sa création et puis parce qu’elle porte aussi des thèmes qui résonnent encore forts de nos jours. Ce côté visionnaire des paroles de Luc Plamondon fascine le jeune metteur en scène. "À l’époque, c’était une dystopie sur le futur et puis cette dystopie aujourd’hui c’est notre réalité et même la réalité a dépassé la fiction, souligne Thomas Jolly, c’est assez stupéfiant de voir comment Luc Plamondon a fait un voyage dans le temps et a réussi à capter le futur pour le ramener à la fin des années 70 et le raconter".

Le metteur en scène s’est fait un devoir de remettre de l’avant cette actualité dans le nouveau spectacle et il a tenu à rencontrer le célèbre parolier québécois : "Il m’a ouvert ses archives, j’ai pu découvrir tous les textes de Starmania dactylographiés avec des ratures dans la marge, j’ai travaillé avec lui pour rebâtir le livret main dans la main, récupérer des chansons et des personnages qui avaient disparu et rendre cette histoire plus lisible, pour claire, pour entendre davantage son actualité". Thomas Jolly vante le côté « poreux » de cette œuvre qui a permis à chaque metteur en scène qui s’en est emparé de la façonner à sa manière : "La grande force de Starmania, c’est qu’elle reste élastique". Thomas Jolly se réjouit que le spectacle traverse l’Atlantique cet été, il était évident pour lui que cette œuvre iconique de la collaboration entre la France et le Québec soit présentée dans la belle province : "Michel Berger est venu chercher Luc Plamondon justement parce qu’il avait cette écriture spécifique, unique, ce ton nord-américain, donc c’est vraiment la réunion de ces deux talents qui a fait le succès de Starmania"