En attendant la sortie de leur huitième album, Elwan, en février prochain, les Tinariwen donnent une série de concerts en Europe et aux Etats-Unis, dont un au Bataclan. Rencontre avec le groupe touareg formé au milieu du Sahara.
Quelques notes de
blues s’échappent du studio feutré de la rue Jean-Pierre Timbaud à Paris. A l’intérieur, Abdallah balade ses mains sur une guitare qui traîne. «
Elle me plait beaucoup. Je pourrais jouer la même chose sur une autre guitare mais ça sonnerait différemment » affirme-t-il, en poursuivant son improvisation.
«
La composition et l’inspiration ça ne se programme jamais. Elles peuvent arriver à n’importe quel moment. » Pour lui, en musique, les choses se passent naturellement, presque instinctivement.
Adballah est guitariste, chanteur et compositeur du groupe de rock touareg
Tinariwen fondé dans les années 1980 dans le l’Adrar des Ifoghas, massif désertique situé entre le Mali et l’Algérie. En tamasheq, la langue touareg, cela signifie « les déserts ». Ceux-là même que le groupe dépeint dans chacun de ses huit disques.
Le dernier-né, Elwan, dont la sortie est prévue pour le 10 février 2017, n’échappe pas à la règle. «
Notre nouvel album parle de la situation difficile au Sahara. Cela a toujours été l’esprit des Tinariwen dans la composition des chansons. Nous avons toujours parlé des soucis d’eau, de l’état des routes, de l’éducation et de la politique du Mali » confie-t-il.
Enregistrer dans le désert, quoiqu’il arrive
La musique des Tinariwen est aussi un moyen différent d’évoquer la situation critique du Mali. Pour Abdallah, le pays, qui est en conflit depuis 2012, est un véritable champ de bataille : «
Notre Sahara est devenu une caserne militaire à ciel ouvert et nous n’aimons pas ça. Depuis quatre ans, l’islamisme, la présence de la Minusma et de l’armée française au Mali n’apportent que des problèmes. Ca n’aide pas les gens et ça ne fait pas partie de la vie de là-bas. C’est très compliqué. La vie normale est en quelque sorte perdue. »
Le premier extrait d'Elwan,
Ténéré Tàqqàl (qu'est devenu le désert en français, ndlr), composé par Ibrahim, voix des Tinariwen, illustre bien ces propos. Ce morceau fait allusion au conflit «
Le Ténéré est devenu un plateau d’épineux où se battent les éléphants » et à l'exil des Maliens «
Les oiseaux ne retournent plus au nid le soir. Les campements ont fui. L’amertume se lit sur le visage des innocents ».
La situation du Mali est si préoccupante que le groupe n’a pu terminer Elwan – album dont la première partie a été enregistré dans le désert californien du parc Joshua Tree en octobre 2014 – chez lui. «
C’est impossible de faire venir des étrangers là-bas à cause de l’insécurité » relate Abdallah.
Pour ce faire, les Touaregs sont donc partis accompagnés de leurs ingénieurs du son à M’Hamid el Ghizlane, un petit village marocain du grand sud désertique. Dans le Sahara, le silence est d’or. Le musicien raconte : «
C’est important pour nous de travailler dans un endroit silencieux. C'est bénéfique pour notre moral mais aussi pour le son. Il n’y a aucun problème dans le désert. Le silence y est très bon, l’air est libre et propre. On y est habitué, c’est tout ce qu’on connaît. »
Plus de concerts au Mali
Les Tinariwen, qui ont enchaîné quelque 160 concerts en trois ans, aimeraient rejouer devant leur public malien, mais il leur est impossible de le faire. Abdallah le regrette «
Nous ne le faisons plus depuis le début du conflit parce que les gens sont partis en Mauritanie ou au Burkina Faso. Il n’y a plus de public, plus d’ambiance, à cause de l’islamisme et l’armée ».
C’est pourtant là-bas que les Tinariwen jouent sans pression. «
Chez nous, les gens reconnaissent notre musique. C’est très différent de l’Europe où nous pouvons être stressés parfois, parce que le public ne comprend pas forcément ce que nous faisons » avoue le Touareg.
Abdallah tempère cependant ses propos. « En France, le public est plus sensible à notre musique à cause de son passé avec l’Afrique. C’est sûr. Les Français connaissent bien les Touaregs et le Sahara. »
Ce public français, les Tinariwen l'ont retrouvé ce lundi 21 novembre aux Inrocks Festival sur une scène qui leur est familière, celle du Bataclan, tout juste un an après les attentats. Des retrouvailles qui résonnent comme une « nouvelle expérience ». La salle est comble. Et l'émotion et la bonne humeur sont partagées tant par les fans que par les artistes qui passent une heure à danser et chanter, ensemble.