Né péniblement et dans le doute il y a juste trente ans, le 15 juin 1987, le programme d'échanges universitaires internationaux Erasmus est devenu l'une des réussites les plus emblématiques et populaires de l'Union européenne. Il pèse un peu moins de 2 % de son budget et 25 fois moins que sa politique agricole.
Généalogie
1987. La future Union européenne se nomme Communauté économique européenne mais on dit encore « marché commun ». Elle comprend douze membres. Un président, Jacques Delors ; pas de monnaie commune mais une unité de compte, l'ECU. Dans le domaine de l'éducation, pas grand-chose.
Depuis une quinzaine d'années, pourtant, diverses initiatives ont tenté, vaille que vaille, de renforcer la coopération et les échanges universitaires au sein de la CEE. En 1976, la Commission adopte en ce sens une ligne directrice, assez pieuse. Le Joint Study Program, réseau transnational subventionné par Bruxelles, connaît un certain succès dans les milieux académiques mais il reste confidentiel et un peu poussif.
En 1983, le Conseil des ministres européens de l'éducation redéfinit des principes de coopération et de nouvelles règles de partenariat entre universités : incitation à la mobilité, reconnaissance des périodes d'études à l'étranger et diplômes, aides financières, simplification des formalités. La base d'Erasmus, mais celui-ci mettra encore près de quatre ans à voir le jour.
Il faudra à son accouchement l'appui de Jacques Delors - qui dirige la Commission à partir de 1985 – mais aussi l'obstination d'un acteur de la « société civile » devenu influent : l'Association des États Généraux des Etudiants de l'Europe (AEGEE). Celle ci multiplie démarches et actions de lobbying. Début 87, elle rencontre différents dirigeants d’États européens dont François Mitterrand – alors réduit à la cohabitation avec Jacques
Chirac mais moralement influent - qu'ils convertissent à leurs détermination.
Après avoir été rejeté trois fois,
le programme Erasmus est finalement adopté par le Conseil des ministres de l'éducation, le 15 juin 1987.
S''il doit son nom, bien sûr, au savant humaniste européen du XVIème siècle, il correspond aussi, plus trivialement à un acronyme anglo-saxon : EuRopean Action Scheme for the Mobility of University Students (schéma d'action européen pour la mobilité des étudiants d'universités).
Expansion
La première année, le programme intègre … 3244 étudiants pour toute l'Europe. Moins de 300 en moyenne pour chacun des 11 pays impliqués. Trente ans plus tard, plus de 5 millions de personnes en ont profité - près de 300 000 l'an dernier - dont 3,3 millions d'étudiants. Le public visé s'est en effet élargi. Erasmus touche aujourd'hui aussi des élèves du primaire, du secondaire, des lycées professionnels, des apprentis, demandeurs d'emploi… 33 pays y participent directement (28 de l'UE + Suisse, Norvège, Islande, Turquie, Lichtenstein). Les partenariats potentiels s'étendent au monde entier.
En 2014, le programme devient Erasmus+ et se renforce. Objectif : atteindre deux millions d'Européens de plus. Cependant, la perspective du Brexit vient changer la donne. Sur la période 2014-2020, le programme bénéficie d'un budget de près de 16 milliards d'euros, soit en moyenne un peu plus de 2 milliards par an, en hausse de 40 % par rapport à l'exercice précédent ... mais 25 fois moins que la politique agricole commune.
Principe
Les bénéficiaires d'Erasmus font une partie de leur cursus (de trois à douze mois) dans une établissement (université, généralement) partenaire d'un autre pays membre proposant le même type d'enseignement.
Dispensés de frais d'inscription dans le lieu d'accueil, ils reçoivent une bourse de 150 à 300 € par mois en moyenne. Insuffisant pour vivre mais cette somme est souvent augmentée d'autres sources de financements publics (bourse du pays d'origine, participation des collectivités locales…). Les séjours doivent permettre de perfectionner son niveau de langues étrangères et de s’initier aux modes de vie, d'enseignement et de travail des autres pays d’Europe.
Conditions
Pour profiter du programme, il faut d'abord que l'établissement dans lequel on est inscrit soit titulaire d'une charte Erasmus. Le postulant doit avoir achevé sa première année d'étude universitaire. Chaque université, chaque école, chaque lycée, détermine les conditions et les critères de sélection des futurs étudiants Erasmus. Obtenir une place n’est donc pas garanti.
Contrat
Afin de valider sa période d'étude à l'étranger, l'étudiant doit choisir un programme d'étude qui fait partie intégrante du programme qu'il suit dans son université d'origine. Enfin, un contrat d'étude est signé avant le départ de l'étudiant qui fixe la liste des matières qu'il devra suivre, ainsi que le nombre de module correspondant à sa période de mobilité.
Paella
Au niveau européen, l'Espagne reste la destination phare pour les étudiants étrangers et le premier pays en nombre d'élèves envoyés chez ses partenaires européens. «
Le coût de la vie peu élevé et le beau temps », expliquent ce succès, selon le porte-parole d'Erasmus+, Lucas Chevalier.
Le duo Erasmus-Espagne (version catalane) a été vivement célébré par le film « générationnel » de Cédric Klapisch «
L'auberge espagnole », qui met en scène des étudiants réunis à Barcelone dans le cadre du-dit programme. L'étude y occupe une place mineure mais l'expérience est riche comme, peut-être, dans la réalité..
Popularité et doutes
Plus sérieusement, Erasmus fait partie des quelques réussites tangibles de l'Union européenne et véhicule, dans l'ensemble une image très positive. En France, selon un sondage réalisé en 2014 par l'institut TNS SOFRES (échantillon de 1000 personnes), Erasmus est d’abord synonyme d’échange (mot le plus fréquemment associé spontanément à Erasmus).
Globalement le programme présente un réel attrait : parmi ceux qui connaissent Erasmus mais n’ont pas participé au programme, près de 8 sur 10 auraient souhaité le faire. De plus, toutes les personnes qui en ont bénéficié recommandent d’y participer (3% de l'échantillon).
Les promoteurs du programme soulignent qu'avec l'ouverture d'esprit qu'il induit ou accompagne, Erasmus favorise le cursus ultérieur, voire l'entrée de ses anciens participants sur le marché du travail.
Une autre étude, en revanche, apporte un éclairage moins rose sur la réception ou l'évolution des idées fondatrices d'Erasmus. Selon l’enquête Eurobaromètre, publiée en mai 2016, et menée auprès de 10 300 jeunes européens âgés de 16 à 30 ans, 61 % d’entre eux – et 64 % des Français – ont répondu par la négative à la question «
Souhaitez-vous étudier, suivre une formation ou travailler dans un autre pays européen que le vôtre ? »
Tout en notant que la « crise identitaire, démocratique et économique » de l’Union est passée par là, Safi Sabuni, présidente de l’ESN (Réseau des étudiants Erasmus), déplore un «
déficit d’information », auprès des jeunes défavorisés notamment, sur les opportunités qu’offre Erasmus +. Les multiples célébrations du 30e anniversaire du programme, tout au long de 2017, sont supposées y remédier.