Des situations ? Les enlèvements, les séquestrations, les tortures s’y étalent, mais aussi les passions, chastes ou torrides, partagées ou contrariées.
Les amours successives ou simultanées qu’a vécues Victor Hugo sont autant de petits cailloux dispersés au fil de la visite : depuis les mots tendres et fougueux à sa femme adorée, Adèle (née Foucher) , jusqu’à l’extrait de Le livre de l’anniversaire où il rappelle à sa maîtresse la plus célèbre, Juliette Drouet, leur première nuit d’amour par un soir de carnaval - « Paris avait la fausse ivresse, nous avions la vraie »- en passant par ses écrits fougueux pour la comédienne Alice Ozy, qu’il disputa à son propre fils.
L’exposition de la Maison Hugo réunit ensuite, au gré des salles, des aquarelles, des encres, des dessins qui donnent à voir la puissance - très aboutie dans sa concision et sa modernité - du Victor Hugo, peintre, avec notamment quelques silhouettes et nus féminins.
Elle permet aussi d’admirer, notamment grâce aux prêts consentis par des collectionneurs privés, de très belles œuvres de peintres, de sculpteurs et de photographes contemporains du poète et font découvrir, d’eux, des travaux plus audacieux que ceux qui font généralement leur gloire.
Courbet, Millet sont aux cimaises. Bien présent, Auguste Rodin dont la sensualité, «l'insatiable énergie» éclate dans les bronzes, les marbres exposés ici (A visiter aussi le Musée Rodin, à Paris, qui vient de rouvrir ses portes après rénovation).
Ou encore Félicien Rops, dont l’érotisme est plus que jamais brûlant, et le peintre italien Francesco Hayez qui, sous le titre, Scènes d’ateliers, s’amuse à croquer des situations dignes du Kamasutra.
Le monde du théâtre s’étale, avec ses loges, lieux du jeu de la séduction par excellence pour la bourgeoisie, avec ses coulisses et bien sûr ses comédiennes souvent convoitées par les contemporains d‘Hugo et par le poète lui-même.
Le XIXème siècle apparaît ici à la fois synonyme de mutation sexuelle, notamment pour la femme. L’heure est à prôner l’adultère et à le sanctionner, à ériger la vertu en dogme et à chérir le désir, à aimer l’ellipse la suggestion en littérature… mais à maintenir pour la femme, et seulement pour elle, la sujétion juridique et la sanction.
La dernière salle de l’exposition, est là comme lieu d’apothéose. Un point d’orgue où la nature du jardin « en rut » apparaît comme le lieu de la germination universelle, où la rosée est décrite comme collier de perles, les papillons comme «neige vivante » et où l’intimité de l’oiseau avec l’arbre éveille les sens. Satyres, odalisques, dieux mythologiques, dragons et faunes se montrent en ces murs, ainsi que le fameux combat de Gilliatt avec la Pieuvre dans Les travailleurs de la mer, symbole apocalyptique de l’étreinte, du « combat » amoureux.
Le catalogue Eros Hugo – Entre pudeur et excès produit par la Maison Victor Hugo, abondamment illustré, est quant à lui passionnant de bout en bout. On lira l’introduction de Gérard Audinet, directeur de ce musée, qui souligne à la fois le tempérament exalté de l’homme et la pudeur de l’artiste, sorte de «prophète païen» comme le qualifia Renan.
On dégustera l’étude très documentée et intelligente du commissaire Vincent Gille, qui évoque au passage combien une exposition de cette nature passera, pour chaque visiteur, par sa propre expérience de la sensualité.
Et on parcourra celle de Pierre Laforgue. L’universitaire rappelle combien Hugo voyait dans la révolution la délivrance du genre humain et voyait dans l’amour «l’éternel reste de l’homme qui ne peut être anéanti» quelle que soit sa condition ; il nous apprend par ailleurs que le poète a consacré à l’éros des pages d’une beauté noire, à la Genet, qu’il a ensuite écartées au moment des publications.
Pudeur, excès, mais surtout exaltation érotique et spirituelle, dont on se dit, deux siècles plus tard, que tout jugement moral doit être résolument écarté pour ne pas abolir, au passage, la puissance du sentiment.
Exposition temporaire Eros Hugo – Entre pudeur et excès, accessible jusqu’au 21 février 2016.