Du chaos au silence. En 2014, Molécule (Romain Delahaye) était parti à bord du chalutier industriel Joseph Roty II pour composer son album 60°43' Nord, au milieu de l'Atlantique.
"Quand j'ai remis le pied à terre après ces 34 jours de mer, nous confie-t-il, j'ai tout de suite eu l'envie de repartir pour une nouvelle aventure. Je venais de vivre une expérience très bruyante avec des sonorités très fortes en volume, le bruit de la tempête, l'activité des hommes, des machines très présentes. L'idée de travailler sur le silence m'est alors venue à l'esprit. Ces paysages que j'imaginais blancs monochromes, remplis de silence du cercle polaire m'ont tout de suite attiré."
Notre article sur son précédent album : "Molécule" : un musicien pêcheur de sons en pleine mer
Direction le Groenland. Plusieurs vols en avion puis en hélicoptère et enfin une dizaine d'heures en chiens de traîneau lui seront nécessaires pour rejoindre le village de Tiniteqilaaq. "Un village où vivent 80 personnes et 300 chiens de traîneau, se souvient Molécule. Il m'a fallu quatre jours pour rallier cet endroit au départ de Paris."
Pendant plus d'un mois, c'est donc là, dans une petite maison, qu'il va poser ses valises et tout son matériel pour y recréer un studio. Débute alors son exploration de la banquise à la recherche des sons qui nourriront ses compositions électro.
"Je pars avec mes instruments et des microphones, des enregistreurs. Je prends connaissance du contexte sonore, visuel, j'enregistre, je dérushe... Petit à petit, je commence à créer dans mon studio, de manière très spontanée, très fluide. En trois/quatre semaines, j'ai dû faire une trentaine de jets ou d'esquisses. Et la dernière semaine, j'en ai finalisé une vingtaine. Et j'en ai gardé dix pour l'album -22,7°C."
Mais quels sons peut-on enregistrer dans cet environnement hostile où le froid extrême étouffe les bruits ? "Le silence véritable n'existe pas, assure Molécule. On entend toujours quelque chose. Même dans ces moments de silence très profonds ! L'idée du silence pour le musicien que je suis, c'est d'être à l'écoute, d'être d'une attention extrême. C'est aussi une manière de me reconnecter aux éléments, à la nature, à ces paysages très vastes. C'est un sentiment qui peut même s'apparenter à la transe quand on respecte une écoute aussi intense."
Dans les morceaux de son album, on y retrouve les aboiements des chiens, le craquement de la glace, le souffle du vent ou la chute de la neige mais pas seulement : "l'amplitude des sons y est assez vaste", observe Molécule qui en donne des exemples dans la vidéo ci-dessous :
Dans ce paysage qui peut paraître "figé", en fait "tout bouge, tout est en mouvement. Tout est dans le détail". Il a dû enregistrer ces sons, si ténus parfois, avec des microphones particuliers, très pointus, (voir son interview en tête d'article) comme des hydraphones pouvant aller en dessous de l'eau ou qu'il pouvait plonger dans la glace.
De ces particules sonores collectées sur la banquise, Molécule compose une musique électro à la fois abstraite et sensorielle.
Le réchauffement climatique se voit et s’entend dans ce décor qui tient au degré près.
Molécule
Certains sons, enregistrés au gré de ses pérégrinations, sont aussi révélateurs des transformations que le réchauffement climatique inflige à la banquise.
"Le réchauffement climatique se voit et s’entend", assure Molécule. "C'est un décor qui tient au degré près", nous dit-il comme en écho au titre qu'il a choisi pour son album -22,7°C : "C'est la température la plus basse que j'ai enregistrée au cours de ce périple, en haut d'un glacier. C'est une température moyenne pour les Canadiens, par exemple. C'est assez doux pour l'hiver. Et cela a un impact sur le décor que l'on voit et aussi au niveau sonore. tout est figé d'eau glacée et au moindre degré les choses fondent, se fissurent. Et tout cela s'entend."
Comme sur le bateau en 2014, Molécule se trouve une nouvelle fois au coeur des éléments pour composer. Et comme sur le chalutier, où il partageait le quotidien des marins, cette fois encore l'expérience auditive et créative se double de rencontres humaines enrichissantes au sein d'une communauté inuite en difficulté, minée par le chômage et l'alcoolisme notamment. "C'est une population qui souffre, raconte-t-il. C'est bouleversant de côtoyer ces gens pris en étaux entre leurs traditions ancestrales, leurs croyances et la modernité qui leur tombent dessus depuis quelques décennies."
Ces rencontres feront partie d'un documentaire à venir qui a été tourné pendant son périple polaire.
Prochaine destination après une tournée qui commence le 8 mars à l'Elysée Montmartre à Paris ? Molécule y réfléchit. Pourquoi pas... le désert !
5951Hz : "C'est pour moi la fréquence du froid", explique Molécule. C'est un sifflement très fin, très aigue, comme un larsen émit par ses synthétiseurs.
Qivitoq : "C'est un personnage légendaire mi-homme mi-fantôme. Les Qivitoqs, ce sont des sortes de renaissances de personnes qui ont été mises à l'écart de la communauté. Certains arrivaient à survivre et revenaient rôder aux alentours du village", raconte Molécule.